« J’ai la bonne étoile…”, disait Tiloun à la veille de son concert. Elle brille quand la nuit tombe. Il est à peine 18 heures, et le soleil se couche déjà sur le plus grand festival de l’océan Indien (le Sakifo, à la Réunion). Tiloun est programmé sur la petite scène, près de l’entrée principale. Le public arrive en masse pour voir, plus tard dans la soirée, Camélia Jordana, Stromae ou Tony Allen. Le gros des festivaliers s’arrête à peine devant Tiloun, jette un regard curieux à ce mastodonte de douceur et de douleur, accorde une demi-oreille à cette voix bouleversante d’ogre orphelin, réchauffée par le feu qui couve du maloya.

Si l’on s’accorde à penser que la Réunion est en France, on peut alors en déduire que Tiloun est un très grand chanteur français. Ses deux albums, Dé pat ater en 2008, Kas in poz maintenant, sont ceux d’un Léo Ferré de l’océan Indien. Des trésors subtilement chamaniques dans un genre musical, le maloya, qui remonte, concentre et expurge l’histoire réunionnaise, le métissage franco-afro-indo-malgache, la bâtardise, l’héritage esclavago-colonial et l’harmonie nécessaire, la fierté de la créolité.

Et le maloya, on n’est pas loin de penser que c’est la plus belle musique de France. Une musique de combat, de danse et de catharsis, essentielle. Même Camélia Jordana en a chanté au Sakifo. Bien sûr, Tiloun préférerait qu’on arrête de parler de la France. Ou, au moins, qu’on le fasse en créole. Tiloun est un Réunionnais hardcore, défenseur de la langue et de l’identité créoles. Certains l’accusent de racisme, parce que pour parler des métropolitains à la Réunion il dit “zoreys” plutôt que “Réunionnais nouvellement arrivés”.

Politiquement pas correct, mais au moins éveillé, conscient, politisé et poétiquement direct. Tiloun, 44 ans, vient de la Source, un quartier populaire de Saint-Denis, la préfecture de la Réunion. La Source, il y reste, il y retourne. Il chante le maloya depuis plus de vingt ans, mais a enregistré sur le tard, parce que les maîtres Firmin Viry et Danyel Waro le pressaient. En cette Année des Outre-Mer, les artistes réunionnais sillonnent l’Hexagone. Tiloun n’est pas du voyage. Pour le découvrir, il faut aller vers lui. Il n’a ni manager ni tourneur. Ses deux magnifiques albums, autoproduits, ne sont pas distribués (disponibles dans les concerts et sur son site). Il refuse que les billets d’avion pour venir jouer en métropole soient financés par des subventions.

Employé comme travailleur social à Saint-Denis, Tiloun a économisé ses cachets de musicien pour financer son deuxième album. Kas in poz a été enregistré à Madagascar, dans un studio centenaire, à l’issue d’une semaine de résidence avec des musiciens malgaches. Madagascar a peuplé la Réunion et nourri le maloya. Points de retrouvailles entre les musiques des deux territoires : le rythme ternaire, la danse et les paroles improvisées. Dans son disque, Tiloun chante la famille, proche et ancestrale, une histoire personnelle et collective douloureuse, écorchée vive.

Té Bana parle de sa soeur, tombée enceinte à 16 ans. Papa Misél, c’est le repeuplement de la Creuse par la déportation d’orphelins réunionnais, organisé jusqu’au début des années 80 – une de ses soeurs est partie. Pou ou, c’est un bouleversant maloya a cappella que Tiloun a enregistré en toute fin de session. “J’ai demandé qu’on rallume le micro. C’est une prière pour ma mère décédée en 1985. Je la remercie et je remercie la vie : avec toutes les difficultés qu’il y a eu, je suis là.”