Ce poisson rouge appelé Carpe Diem

Avenir…

Pourquoi s’inquiéter pour ce moment

Qui n’arrive jamais ?

 

Chaque jour est un combat contre la mort. Aujourd’hui, plus que jamais. Chaque matin qui se lève est une victoire face à la nuit de la veille. Oui, la mort aurait pu nous emporter dans notre sommeil. Pourtant, à force de préparer demain, nous oublions de vivre aujourd’hui. Combien de fois avons-nous renoncé à des plaisirs et des loisirs, en nous disant que nous pourrons les faire plus tard ? Combien de fois avons-nous dû taire des envies folles, juste parce que nous avons plus sérieux à faire ? Combien d’entre nous n’ont pas eu le courage d’exprimer ce qu’ils ressentent, tout simplement parce que ça va peut-être s’arranger et que ça ne sert à rien de s’emporter maintenant ?

Des rêves ont été mis entre parenthèses. Des désirs ont été étouffés. Des relations toxiques ont été entretenues. Parce que nous ne cessons d’espérer un lendemain meilleur. Nous n’osons pas vivre pleinement aujourd’hui, de peur ne pas voir naître demain. Alors nous acceptons toutes les affres, toutes les humiliations, toutes les souffrances, dans l’espoir de vivre un nouveau jour ensoleillé. Parce que nous ne reconnaissons pas la valeur de la vie, que lorsque nous avons failli la perdre. Parce que nous pouvons nous dire que nous sommes restés debout, malgré tout. Nous arrivons même jusqu’à nous sentir coupable de bonheur. Nous nous inquiétons de mener une vie tranquille. Nous nous en voulons de ne pas souffrir comme les autres. Nous craignons d’être anormaux si nous trouvons la vie douce. Parce qu’il faut se plaindre, ne serait-ce qu’un peu, ou beaucoup comme les autres. Parce qu’il faut souffrir, parce qu’il faut survivre à des épreuves. Nous cultivons en nous une peur viscérale du bonheur, à un tel point que nous créons nous-mêmes, sans le savoir ou exprès, des problèmes, des obstacles, des maladies imaginaires, etc. Alors, nous finissons par nous inventer des maux, pour nous sentir vivants et normaux.

Pourtant, jamais notre avenir n’a été aussi incertain. Nous avons appris contre notre gré à vivre au jour le jour. Et plus nous devons vivre ainsi, plus nous mourrons à l’intérieur. Parce que nous n’avons su vivre qu’à travers le futur à embellir et le passé à mystifier.

Notre seule certitude, c’est notre mort. Ça, nous ne pourrons pas y échapper. Nous pourrons rater notre vie autant que nous voulons, nous éloigner de notre destin autant de fois que nous le souhaitons, passer à côté de l’amour autant que possible, mais nous ne parviendrons pas à empêcher la mort de nous emporter. Du moins, jusque-là. Elle est notre compagne quotidienne. La mort est la seule qui ne nous abandonne jamais, car même la vie finira par nous quitter.

Et si nous n’avions pas d’avenir ? Que nous n’avons que des aujourd’hui ? Et si nous oublions à chaque sommeil ce que nous avons vécu pour reprendre à zéro le lendemain ? Oui, comme chez les amnésiques qui revivent chaque jour. Voilà une idée bien folle et incongrue. Voilà une insulte envers ceux qui traversent cette épreuve quotidienne. Pourtant, ce qui nous conditionne, c’est notre mémoire, et elle est sélective, très affective. Elle nous fait revivre toutes nos souffrances, à un tel point que celles-ci se transforment en des obstacles presque impossibles à franchir. Notre mémoire a tendance à ancrer nos déceptions dans notre cœur, nos ruptures dans notre âme et nos douleurs sur notre peau, aux dépens de nos joies, nos rires et nos réjouissances.

Imaginons un instant, qu’on nous oblige à écrire tous nos rêves, depuis notre enfance jusqu’à aujourd’hui. D’une part, serions-nous capables de nous en souvenir ? D’autre part, avons-nous réussi à réaliser quelques-uns ? À la première question, pourrions-nous savoir pourquoi avons-nous oublié nos rêves ? À la deuxième, qu’est-ce qui nous a empêché de les réaliser ?

Si on nous annonce que ce soir nous allons mourir, serions-nous prêts ? La question a sans doute été posée mille fois. Toutefois, sommes-nous sûrs d’avoir mené la vie que nous voulons ? Cette période nous mets face à face à notre miroir intérieur. Elle ouvre le placard et nos squelettes se bousculent d’en sortir. Tout ce qui nous conditionne passe au crible. Toutes les questions sont permises. Notre quotidien est épluché, nous découvrons, parfois à notre insu, ce qui nous façonne, ce qui nous construit, ce qui nous détruit, ce qui nous arrange, ce qui nous dérange… Nous sommes également face à ce que nous aimons et ce que nous n’aimons pas. Nous découvrons même des choses que nous avons pensé aimer, mais que finalement nous n’aimons pas. C’est toute l’essence de notre vie qui est remise en cause. C’est notre existence qui est secouée dans tous les sens. Quand on est face à nous-mêmes, nous sommes envahis par des questions, auxquelles nous n’avons pas toujours pensé avoir à répondre un jour. Et si le jugement dernier, c’est nous qui allons le décider et ce, à nous-mêmes ?

Et si pour vivre pleinement le Carpe Diem, il faut juste avoir une mémoire de poisson rouge ?

NA HASSI
Illustration : Sabella Rajaonarivelo