Chez nous, un bocal en cache un autre…

Chers invités, bienvenus dans la cuisine d’un Malgache. Au premier regard, rien de bien particulier. Une boîte de poudre chocolatée par-ci, un bocal de moutarde par-là, une conserve de pâté de volaille dans un coin… Seulement, êtes-vous certains que l’étiquette vous dise la vérité ?

Ceci est l’histoire d’un bocal qui vient d’ailleurs, mais qui renferme désormais les vécus d’ici. Le Malgache ne jette pas les boîtes, il les conserve.

Ceci est le voyage d’un bocal rempli d’histoires d’autrui, d’un autre terroir, d’une autre langue, toutes devenues siennes par procuration, par occupation.

Ceci est le parcours d’un contenant étranger qui vient de loin, de très très loin. Ce pot en verre ou en plastique sort de l’usine, traverse l’océan et les continents pour débarquer sur la Grande île. On le vide de son contenu pour le remplir de notre quotidien. Il conserve désormais des réalités insulaires. Il s’en imprègne.

L’étiquette perd son identité. Son contenu sera soumis à un perpétuel changement, selon les envies, selon les humeurs ou selon les besoins. L’étiquette perd sa date de péremption. Son contenu sera renouvelé, à mesure que les familles le consomment. L’étiquette perd toutes ses recommandations. Sa place n’est plus obligatoirement au rayon frais, le bocal se pose partout. L’étiquette perd toutes ses valeurs nutritives. Les apports varieront certainement selon la fantaisie de son contenu. Au final, l’étiquette se perd tout court, à force de perdre tout son sens. Elle se décolle au fil des lavages et des usages.

Ceci est le témoignage d’un bocal vide qui avale et garde, tel un coquillage, des voix alentours, des vies environnantes, des mots bienveillants et des échanges bruyants.

Ceci est le récit d’extraits de vie, de morceaux de voix et de bouts de voies. Un mélange d’ici et d’ailleurs.

L’esprit de conservation des conserves est un héritage légué par les arrières-arrières grands parents malgaches. Dans la cuisine, le sucre se trouve dans un pot de confiture, le sel dans une boîte de margarine, le café dans un bocal de mayonnaise, et même récemment le miel dans une bouteille de tisane qui a le vent en poupe. D’une part, il ne faut jamais se fier à l’étiquette. D’autre part, celui qui réutilise le bocal n’est pas forcément celui qui l’a vidé de son contenu original. On peut ainsi avoir un bocal de poudre de chocolat chez soi, sans y avoir goûté une fois dans sa vie. Ici, un bocal en cache un autre…

NA HASSI
Illustration : Sabella Rajaonarivelo