Dis-moi quelle(s) langue(s) tu parles, je te dirai qui tu es

Qui dit culture dit identité – et tout un tas de choses. Souvent, c’est ce « tout un tas de choses » qui fait toute la différence, mais encore faut-il pouvoir les identifier. Si la culture définit ce que nous sommes, il faut également admettre que « ce que nous sommes » est en constante évolution. Chaque jour qui se lève est une mue en attente. Chaque individu évolue dans un environnement, lui-même soumis à un changement permanent. La situation à laquelle le monde entier fait face aujourd’hui agit sur notre personnalité et notre mode de fonctionnement. Il faut donc s’attendre à une nouvelle identité, à une nouvelle culture. C’est une évidence.

Qui dit identité dit langues – et tout un tas de choses. Toujours, c’est ce « tout un tas de choses » qui comporte toutes les nuances à saisir. Parmi celles-ci, l’utilisation des langues. Le contexte détermine la nécessité voire la valeur d’une langue par rapport à une autre. Sans pousser dans une analyse sociolinguistique, encore moins nourrir une diglossie qui gangrène suffisamment la Grande Île, il est quand même intéressant de relever certains détails.

Qui dit langues dit territoire – et tout un tas de choses. Quand on naît sur une île de 587 000 km² avec environ 18 ethnies et une vingtaine de dialectes, il n’est pas toujours facile de se comprendre ni de se faire comprendre. On a eu beau instaurer une langue nationale, l’étrange rapprochement de celle-ci avec un dialecte précis rechigne à son acceptation unanime. On a eu beau officialiser la langue coloniale pour espérer une compréhension sur l’ensemble du territoire, les complexes laissés par le contexte historique en découragent plus d’uns.

Qui dit territoire dit histoire – et tout un tas de choses. Imaginons donc un individu qui naît et grandit dans une région, qui part ensuite poursuivre ses études dans une autre pour finir affecté dans une autre région pour son travail. Celui qui a l’occasion de voyager ainsi – souvent par la force des choses – peut espérer parler plus d’un dialecte. Celui qui ne sort de son lieu de naissance ne saisira aucun mot de ce que son compatriote régional pourra lui dire. Ici, on ne soulève pas encore les interprétations, les connotations et les degrés de sens pouvant survenir à tous les niveaux de compréhension comme dans toute communication.

Qui dit histoire dit valeurs – et tout un tas de choses. Seulement, les valeurs qu’on accorde à une langue dépend de notre culture, de notre identité, de notre langue natale, de notre territoire et surtout de notre histoire personnelle. Les nombreuses expériences linguistiques dans ce pays – surtout scolaires – ont laissé des traces en chacun de nous. Imaginons un individu né à l’époque de l’indépendance où la langue coloniale était encore dans sa force. Il bascule ensuite dans une scolarité où l’île prône la malgachisation. Il finit ses études et va ensuite travailler dans un contexte de mondialisation avec le retour en force de la langue coloniale. Imaginons aussi un individu né à l’époque de la malgachisation puis grandir dans une période de mondialisation, l’enseignement étant assuré par les individus précédemment cités. On peut pousser l’imagination encore plus loin et à l’infini, mais ce qu’il faut essayer de comprendre c’est la complexité de nos rapports avec les langues, les nôtres autant que celles des autres. On se rue désormais vers les écoles d’expression française ou anglaise, sans pour autant avoir toutes les chances de son côté pour sortir de l’île.

Qui dit valeurs dit objectifs – et tout un tas de choses. À quoi sert une langue exactement ? À communiquer ? Communiquer quoi ? Communiquer avec qui ? Pourquoi communiquer ? Doit-on délaisser notre langue nationale sous prétexte que personne d’autre en dehors de l’île ne la parle ? Parce qu’elle ne mérite pas d’être apprise, enseignée et maîtrisée à l’intérieur même du territoire ? Parce qu’elle n’a donc aucune valeur ici-même, sur son propre sol ? Pourquoi diable des gens soutiennent-ils alors une thèse de sorabe[1] à la Sorbonne ? Si on ne la parle pas ici, où est-ce qu’on pourra l’utiliser ? Dans notre imaginaire collectif peuplé de dinosaures et autres espèces disparues ? Sommes-nous à ce point insignifiants et n’avons aucune estime pour nous-mêmes pour juger que la langue locale ne mérite pas d’avoir sa place partout ? Doit-on apprendre les langues étrangères sous prétexte que tout le monde en dehors de notre île les parle ? Mais comment pense-t-on alors contribuer aux recherches dans le monde avec un système éducatif qui laisse pour compte les langues étrangères dans les classes scientifiques ? Si notre objectif est donc de faire partie de ceux qui font avancer le monde. Faisons-nous les choses pour nous-mêmes d’abord ou pour les autres ? Doit-on chercher notre valeur et notre identité à travers les autres ou en s’appropriant ce qui nous reste malgré tout ? Quoi qu’il en soit, force est de constater un enseignement national en grande partie en langue française sur un territoire où près de 16 %[2] seulement la pratiquent occasionnellement.

Ce dont nous avons besoin est peut-être un Ministère des Langues pour arranger tout ça – et tout un tas de choses. Car oui, ici c’est : dis-moi quelle (s) langue (s) tu parles, je te dirai qui tu es…

 

 

[1] Ancienne langue malgache

[2] Source de l’Akademia Malagasy rapportée par Tv5 Monde en novembre 2016

NA HASSI
Illustration : Andou Baliaka