Être une femme malgache

Selon un rapport de l’ENSOMD en 2012-2013, les jeunes Malgaches vivent leur première expérience sexuelle vers 16 ans. Les chiffres indiquent également que 20,4 % des filles l’ont fait avant 15 ans, contre 10,5 % pour les garçons. Il est sans doute inutile de tirer la sonnette d’alarme sur les implications, les responsabilités et les conséquences de ces réalités. La sexualité est un sujet tabou en famille. Voilà pourquoi ce qui se passe dans les couloirs de la ville nous échappe, pendant qu’on croit nos enfants « prudes » et bien « sages ». Il ne s’agit pas ici de débattre sur la morale et les mœurs ni de jeter la faute sur la technologie et les réseaux sociaux qui « exposent » nos progénitures au mode de vie « dévergondé » des Occidentaux. Les guillemets s’imposent, car tout est subjectif. L’angle de vue dépend du regard qu’on pose sur le sujet, mais surtout de ce qu’on a acquis, appris, avalé et gravé dans notre tête.

Les filles sont donc plus nombreuses à entrer en premier dans la vie sexuelle. En grandissant, comment vit-on ces expériences ? Avec le temps, comment on s’en sort : physiquement, socialement, psychologiquement et moralement. Surtout dans un pays où l’éducation sexuelle n’existe que très peu, sauf peut-être par les initiatives d’ONG comme Projet Jeune Leader. Surtout dans un pays où le sexisme se mélange avec la religion pour déterminer la place que mérite la femme dans la société. Surtout à une époque où la génération 2000 est victime de jugements, de reproches et de débilités.

Les « fuites » de vidéos de sexe sur les réseaux sociaux et surtout les réactions qui les accompagnent permettent d’observer le point de vue social malgache. Quand une vidéo sort, les partages sont quasi-automatiques, avec des insultes, des moqueries et des humiliations. Inutile de préciser que ces réactions sont destinées aux personnages de sexe féminin sur la vidéo. Comme si elles sont « seules » sur ces images, mais pour les hommes dedans, c’est « normal ». C’est leur « faute » à elles d’y avoir participé. Elles n’avaient qu’à se « tenir au carreau ». On n’abordera pas le côté malsain, pervers ou vengeur de celui ou celle qui poste la vidéo en premier. On laissera à chacun l’occasion de réfléchir là-dessus. Ce qui interpelle également, c’est que le partage et les réactions ne sont pas faits uniquement par des hommes, mais des femmes également, des mères. Celles qui pensent leurs enfants bien élevées qui ne feront jamais pareil, celles qui accusent les mères de ces enfants « égarées ». Qu’on ne se méprenne, il n’est pas ici question de vulgariser ni d’encourager ces vidéos, mais d’insister sur notre comportement vis-à-vis d’elles. Peut-être que si on était moins friand de ces réactions humiliatrices, ces images seraient moins véhiculées et moins virales.

Être une femme et avoir des envies de sexe dans un pays comme celui-ci est sans doute l’une des réalités les plus difficiles à vivre. Les locaux connaissent très bien les expressions « sipa mangidihidy » (sipa = jeune femme, mangidihidy = qui a des démangeaisons). En poussant la réflexion, on risque de penser qu’une femme qui aime le sexe est soit malade soit une malade. Prenez-le sens qui vous parle. On a aussi « foza orana » (foza orana = écrevisse qui envahit les rizières, désigne aussi les prostituées ou celles qui en ont « l’air »). On rappellera notamment le « sipa malama » (malama = qui glisse), « sipa manidina » (manidina = voler dans les airs), sipa mihodina (mihodina = tourner en rond)… Oui, la langue n’est pas avare de mots et de qualificatifs pour désigner la femme ayant des envies sexuelles. Ce n’est pas pour autant qu’elles soient acceptées comme telles. On remarquera sans doute que ces qualificatifs sont péjoratifs, humiliants et accusateurs.

Parallèlement, pendant que la société continue d’inventer des mots pour les accuser, les sextoys se vendent comme des petits pains. Encore un sujet tabou, mais dont on reste friand en tant que voyeur, espion et pervers à la limite. Après une discussion avec une vendeuse de lingerie et d’objets sexuels en ligne, elle a fait le topo. Les Malgaches ont beaucoup évolué, où les femmes achètent des lingeries sexy, des uniformes et des accessoires, et ce, sans être des putes. Oui, il faut dire le mot bien choisi par cette société si prude. Néanmoins, les commandes se font en message privé pour les plus « hard ». La vendeuse s’est également déjà plainte de messages privés des hommes qui lui demandent des faveurs sexuelles, pour la simple raison qu’elle vend ces choses, qu’elle n’avait qu’à ne pas les vendre. Comme si vendre des lingeries fines et des sextoys obligent à accepter ces remarques et ces demandes déplacées. Exige-t-on pareil service à une vendeuse de téléphone par exemple ? Quoique…

Par ailleurs, elle a également reçu des messages accusateurs, lui demandant si elle n’avait pas de frère, comment réagit son frère par rapport à son travail, ce qu’elle vend… Inutile de dire que si cela avait été un homme, aucune de ces remarques n’aurait existé.

Il est peut-être temps d’élever nos enfants, garçons et filles, que l’appareil génital ne détermine pas ce qu’on peut dire ou ce qu’on doit accepter de subir.

NA HASSI
Illustration : Sabella Rajaonarivelo