ArtsLittérature & Poésie

Jean-Luc Raharimanana

“Le créateur regarde la lumière. De la luciole, il en fait un soleil„

icon-baobab

Par Raoto Andriamanambe - Photos. Jocelyn Maille

C’est un artiste protéiforme qui nous accorde un entretien. Jean-Luc Raharimanana est le digne héritier des grandes plumes malgaches. Touche à tout, il refuse d’être catalogué dans un genre particulier et d’être enfermé dans un registre précis, mais les évènements du 29 Mars 19471 constituent pour lui un fil rouge.

 

Indigo. Nour, l’essai Madagascar 47 ainsi que votre pièce Rano, rano ont les évènements du 29 Mars 1947 comme fil conducteur. Pourquoi vous y êtes-vous intéressé ?

Jean-Luc Raharimanana. Je me suis toujours intéressé à « 47 » depuis l’enfance, quand je me promenais vers Ambohimanambola, vers Ambohimangakely, quand on prenait le train vers Antsirabe, on voyait des traces de balles sur les murs des gares. Alors, je posais des questions aux parents, mon père m’expliquait, toutes les personnes à qui je posais des questions expliquaient à leurs manières, parfois difficilement, parfois trop abondamment. Or à l’école, c’est à peine si on nous l’enseignait, cela m’avait à la fois étonné et frustré. Alors quand j’ai commencé à publier des livres, j’avais en tête de traiter ce sujet. C’est en écrivant que j’ai réalisé l’ampleur de ce fait de notre histoire. Beaucoup de lecteurs m’ont suivi à partir de Nour, j’ai senti que je ne pouvais pas arrêter comme ça, avec un seul livre, il fallait entretenir ce devoir de mémoire.

 

I. Vous dites que vos livres sont des « linceuls pour ensevelir la mémoire des insurgés de 1947 ». Or vous ferraillez également pour que les souvenirs de 1947 demeurent vivaces et vivants pour la génération actuelle. Comment expliquer ce contraste ?

JLR. Ce n’est pas un contraste. Le linceul n’est pas un oubli. Dans notre tradition, on prend soin des morts en les recouvrant de linceul (lamba). Le linceul est une manière de se rappeler car il faut le changer régulièrement, réunir toute la famille et évoquer la mémoire du défunt. Les morts en « 47 » n’ont pas eu de sépultures. C’est la plus grande tragédie qu’on peut connaître dans notre culture, de ne pas avoir de sépultures, ne pas retourner dans la terre des ancêtres. Alors, oui, le tombeau est un monument érigé à la mémoire de quelqu’un, on marque l’endroit, on indique que c’est là. Nos morts en « 47 » ont été jetés n’importe où, beaucoup de corps n’ont pas été retrouvés. Mes mots seront leurs tombeaux et leurs linceuls. Étymologiquement, ensevelir n’est pas faire disparaître, c’est envelopper de linceul, c’est donner une sépulture. Écrire sur 1947, pour moi, c’est honorer cette mémoire. En cela, je ne suis pas historien, je suis juste un Malgache qui refuse le manque de reconnaissance de cette mémoire.

[…]