La Planète des Songes : System D réveille le monde
On est le 28 février 2020. Il est 19 heures et quelques à Antananarivo. Des humains se sont rassemblés dans cette salle Albert Camus de l’Institut Français de Madagascar. Ils y viennent pour découvrir. Ils y viennent pour soutenir. Ils y viennent pour écouter. Ils viennent pour rêver. Ils y viennent pour faire acte de présence. Peut-être pour se sentir encore vivants, en se berçant de quelques poésies ici et là. En volant un peu de son temps à la nuit noire. Peut-être en prolongeant ce dernier vendredi de l’année bissextile. Car tout doit avoir un sens. Tout est symbolique. Tout est réflexion. Or, La Planète des Songes, c’est le réveil, c’est la fin de l’Homo-Sapiens. La Planète des Songes, c’est la sonnette d’alarme pour dénoncer les actes irréfléchis de ce seul animal qui se dit « penseur ». System D s’adresse à ceux qui veulent encore entendre, à ceux qui veulent encore comprendre, à ceux qui veulent peut-être essayer de rendre ce monde moins « con ».
Si la planète est dans un état actuel, c’est que l’humain y est pour beaucoup. Et c’est loin d’être un compliment. Pendant que les hommes se complaisent à attribuer des chiffres, des appellations, des prévisions et des calculs à sa science, sa découverte, son génie et sa connerie, la nature reprend son pouvoir. Pendant que les hommes se font la course au mérite, à la gloire, à la victoire, à l’honneur, la nature reprend sa couronne. Pendant que les hommes se font la guerre des parcelles de terre, de richesses souterraines, des idées, d’idéologies, de vérités, la nature prend la parole. Pendant que les hommes s’inventent des raisons et des arguments pour se justifier, s’autoproclamer maîtres, se dire responsables, la nature reprend son rôle. La Planète des Songes, c’est quand les hommes auront disparu et que la nature reprend tout ce qu’ils lui ont pris.
Si l’avenir de l’humanité est aussi complexe, c’est que l’humain a perdu depuis longtemps de poser un regard simple sur le monde. Ses narines ne parviennent plus à ressentir l’air frais et pur, mais exigent des parfums de synthèse, des arômes de tous genres, des désodorisants de toutes sortes pour étouffer sa puanteur. Ses yeux ne parviennent plus à admirer une fleur sauvage, mais recherchent des couleurs psychédéliques sur une même plante, des greffes de plants pour des fleurs extra, des papiers peints floraux pour décorer ses murs. Ses oreilles ne parviennent plus à entendre le chant des oiseaux, mais réclament du bruit d’autres humains de son espèce, des voix enrouées de thé au gingembre et de cigarette mentholée, des musiques brutales pour calmer ses nerfs.
La Planète des Songes, c’est le récit de tout ce que l’humain a perdu en voulant faire la guerre à la nature, sous prétexte qu’il a été « désigné » – par lui-même ou sans doute par le Dieu qu’il s’est créé – « maître du monde ». La Planète des Songes, c’est le récit de tout ce que l’humain a gagné en voulant perdre tous ses instincts, sous prétexte qu’il est le plus « évolué » de toutes les espèces. La Planète des Songes, c’est la fin de l’homme. La Planète des Songes, c’est le début de l’univers, sans l’homme. La Planète des Songes, c’est donner la parole aux animaux, pour qu’ils disent ce qu’ils pensent de ces « penseurs », soi-disant.
On est le 28 février 2020. Il est 20 heures et quelques à Antananarivo. Des humains se sont quittés dans cette salle Albert Camus de l’Institut Français de Madagascar. Ils sont repartis émus. Ils sont repartis en emportant chacun un petit message personnel, un bout de ce qu’ils ont retenu du récit. Ils y sont repartis heureux, d’avoir pu assister à ce réveil poétique. Ils sont repartis, non sans avoir félicité, non sans avoir embrassé, non sans avoir soutenu System D, non sans avoir remercié Tagman Namgat et Gad Bensalem de ce travail. Ils sont repartis songeurs… Et si tout cela était vrai ?
NA HASSI
Photographie : Sandy Henri Njaka