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L’arroseuse arrosée

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Par Marie-Josée BARRE

Mademoiselle Abelaïd-Oussène Jodee Marie-Victoire a vu le jour à Saint-Denis de l’Île de La Réunion, dans le quartier Bouvet, il y a de cela très longtemps. Les choses se seraient- elles passées autrement si elle était née ailleurs ? Rien n’est moins sûr, car dans sa vie, tout se passe comme c’est écrit dans le grand manuscrit. C’est elle qui le répète à qui veut l’entendre. Lorsque quelqu’un s’aventure à lui demander de quel grand manuscrit il s’agit, elle répond d’un ton qui ne laisse aucune place à la discussion : « Mon grand manuscrit. »

On ne peut pas dire qu’elle est musulmane, Seigneur Dieu ! Surtout pas lui dire ça ! C’est une sauterelle-chipèque de bénitier. Même si elle ne fait que passer à l’église, on l’entend et on la voit ! C’est toute une rangée qui se pousse sur les bancs pour éviter ses coups de coude et ses rouspétances qui font honte. Donc, c’est à cause de son patronyme que certains se laisseraient à dire qu’il y a comme une consonance du Pakistan. Pourtant à l’observer, on n’y décèle pas la moindre ondulation nonchalante des Pakistanaises, et encore moins la tenue vestimentaire !

Elle ne porte que des robes à fleurs, vives !

On ne peut pas dire qu’elle est Indienne par son premier prénom, car elle n’a pas non plus ce glissement félin qui caractérise les Indiennes de La Réunion et dont les ancêtres sont venus de Bombay, de Pondichéry, de Chandernagor, ou tout simplement de la côte de Malabar.

Non, définitivement, Jodee n’a jamais été porteuse de rêve Hindou. On pourrait dire que son deuxième prénom clamerait une ascendance européenne noble ? Même pas. Marie-Victoire n’est pas blanche. Elle n’a pas non plus les pates jaunes comme les descendants d’anciens colons venus de France, ceux qu’on appelle les Yabs des Hauts.

Elle a juste de grands pieds, de plus ils sont plats !

Elle n’est pas Africaine non plus puisqu’elle n’est pas couleur du fruit du jamblonnier. Sa chevelure oui, les brins noirs oscillent, selon le temps, entre frisure et raideur. Sa mère lui a appris à séparer avec art, ses cheveux en deux vagues : moitié boudinée sur le haut de la tête et moitié roulée en grosse boule sur la nuque.
Alors, Chinoise ? Son nom se serait-il déformé lors de la venue des engagés à La Réunion : Ah-Bel-Ah-Hide-Hou-Sen ? Ça ne ressemble à rien. C’est peu probable malgré l’indescriptible métissage de l’île de La Réunion.

Mademoiselle Jodee, Marie-Victoire Abelaïd-Oussène, n’est ni petite ni baguete, ni jolie ni crapaude, ni maigre ni patate. Elle est un peu joufflue, mais ça ne se voit pas trop, car en dépit de ses grands pieds, elle a une démarche altière et un port de tête qui ont la particularité de dégonfler ses joues. […]