Quand le Corona fait tomber les masques

« C’est dans l’adversité que se révèlent les vrais amis » nous disait Cicéron. À notre époque, si moderne et si civilisée, c’est dans une situation de crise que se révèle notre humanité. Du moins, ce qu’il en reste de notre soi-disant humanité…

Bien avant qu’un virus quelconque n’ait touché le pays, nous étions déjà dans la provocation, dans l’intolérance, dans la manipulation, dans la désinformation, etc. Bien avant qu’un virus quelconque n’ait débarqué dans le pays, nous étions déjà dans la culture de la peur, de la culpabilisation, de la panique, etc. Bien avant qu’un virus quelconque n’ait affecté le pays, nous étions déjà malades. L’annonce du gouvernement a juste révélé à quel point nous sommes contagieux et dangereux pour nous-mêmes.

Nous sommes de ceux qui sont dans les mots, dans le verbiage, dans la discussion, dans le débat et toutes les appellations possibles de ce qui est de « parler », parfois sans rien dire. Aucun cache-bouche n’aurait réussi à fermer nos gueules. Sans doute, parce que nous avons dans nos gènes la littérature orale, les contes et légendes. Sans doute parce que les paraboles et les allégories sont notre héritage commun. Malheureusement, nous avons oublié que les mots sont puissants et qu’ils sont dangereux. Au lieu de transmettre des messages de paix, nous avons préféré semer la panique. Au lieu de nous souhaiter bonne chance, nous avons préféré nous maudire. Au lieu de veiller les uns sur les autres, nous avons préféré le « sauve qui peut ». Jamais le Fihavanana n’est resté qu’un simple mot, celui qui ne veut rien signifier. Pour tout le monde. Pour personne. D’ailleurs, le fihavanana n’a-t-il servi que lors des moments où nous défendions nos propres intérêts ? Ce mot qui n’a eu de sens que lorsqu’on le voulait, et encore… L’annonce du gouvernement a juste révélé à quel point nous étions déjà seuls bien avant que le confinement n’ait été recommandé.

Nous sommes de ceux qui ne se sont jamais préparés à quoi que ce soit. Ni à mourir ni à vivre. Nous sommes de ceux qui n’ont jamais su apprécier le présent comme un cadeau. Pourquoi avons-nous peur de rester chez nous, d’ailleurs ? Parce que nous avons toujours aimé le danger du dehors. Parce que nous avons désappris à aimer nous retrouver entre nous. Parce que nous avons oublié combien il est pénible d’être « sans abri », à comprendre au sens propre. Estimons-nous heureux, chanceux de pouvoir nous abriter. De ne pas laisser la panique nous gagner et de la semer à tout vent. Nous sommes de ceux qui attendent que la mort menace pour aimer la vie, si chère finalement. Pour ce qui est de la cherté, c’est à prendre au sens propre, encore. L’annonce du gouvernement a juste révélé à quel point nous sommes précaires et sans avenir.

Nous sommes de ceux qui ne mourront pas du virus lui-même, mais surtout de nos actes vénaux et irréfléchis. De notre manque de responsabilité. De notre manque de bons sens. De notre manque de confiance en nous. De notre manque d’humanité. L’annonce du gouvernement a juste révélé à quel point nous ignorons (1.Ignorer = ne pas savoir / 2. Ignorer = faire semblant de ne pas savoir) tout de ce qu’il faut faire en situation de crise.

Le Coronavirus débarque dans notre île et a fait tomber bien de masques. Nos vrais visages sont enfin révélés au grand jour. Il est peut-être temps de se réapproprier nos valeurs, nos richesses et de comprendre que cette île est un paradis. Elle nous nourrit avec son sol fertile et ses produits frais, pendant que d’autres pays importent, surgèlent et décongèlent avant de préparer à manger. Elle nous abreuve avec ses fleuves et rivières, qui irriguent nos champs et rizières. Elle nous protège avec ses forêts et ses plantes médicinales, que d’autres doivent acheter hors de prix dans des flacons en huile essentielle. Quand on parlera du Corona au passé, espérons que nous aurions légué à nos enfants les vraies valeurs de la vie et de l’humanité.

En attendant, pour ce qui est des impacts de tout ceci, je m’en lave les mains…

Prenez soin de vous. Prenons soin de nous.

NA HASSI
Illustration : Sabella Rajaonarivelo