Soixante ans :
Indépendance à la retraite ?

Que valent soixante ans au juste ?

Des pages de calendrier tournés avec fierté, feux d’artifice et conduites en état d’ivresse. Six décennies de défilés de l’armée dans une ville qui patauge dans une insécurité permanente. Bruits de canons légitimes du régiment faisant écho aux pétards illicites des enfants, le tout qui explose toujours, malgré tout. Lampions aux couleurs locales, soit disant emblèmes nationaux, mais dont les bénéfices renflouent les caisses chinoises. Puis, cette chanson de ces joujoux qui cassent les oreilles les jours de fête, pendue à nos lèvres bien plus que l’hymne national : libéréééééééééééééééé, délivrééééééééééééééééééé

Ce discours ne se veut pas politique, ni historique et encore moins véridique. Il s’agit juste des épanchements incontrôlés d’une âme qui a atterri dans ce pays un jour de la fête nationale, il y a trente ans. Aujourd’hui, plus que jamais, elle se demande ce qu’il y a à fêter, et surtout ce qu’il y a de nationales dans ces célébrations. Depuis quelques années, à force de vivre des crises sociopolitiques, les pétards sont interdits à la vente pendant cette période festive. Depuis ces mêmes quelques années, ces pièces d’artifice continuent de remplir les étals du marché et ni parents ni enfants n’en démordent pas. Ici, toute restriction ramène à cette principale réponse magique dans le pays : pauvreté. Ce mot qui sert d’excuse à tout, qui justifie tout et que pardonne tout. La formule magique à tous les niveaux. De quoi vont se nourrir les marchands de pétards en période de fête si on leur interdit de travailler ? Toute mesure, quelle qu’elle soit, quand qu’elle soit, ramène à cette formule, si gluante et puante, mais dont on ne se lasse jamais de garder dans la bouche, telle la salive du paraky gasy dans les lèvres. Un mot si amer dans notre langue.

De la langue, parlons-en justement. Que valent ces soixante ans d’indépendance, de malgachisation, d’officialisation de langues étrangères ? Soixante ans de quête identitaire qui conduit à ce niveau où les pierres sont jetées à ceux qui écorchent la langue de la Reny Malala, mais qui ne sont jamais jeté sur ceux qui bafouent le malgache, oups pardon, malagasy. Quand l’orthographe insulte les académiciens, la grammaire et la syntaxe humilient le peu de dictionnaires édités, quand la paresse et l’urgence de Like font négliger ne serait-ce qu’une relecture des publications, aussi sincères, aussi pertinentes soient-elles. Soixante ans d’indépendance qui sonne encore comme une sorte de mauvaise blague, surtout quand beaucoup croient que les discours sont plus pertinents dans une langue autre que nationale. Que parler étranger fait d’un individu un intellectuel. Honte à toi si tu ne sais pas prononcer Yves Rocher. Non, les conneries se disent aussi dans d’autres langues mes chers compatriotes, si cons et si patriotes par la même occasion. Les idées restent pourries, quelle que soit la langue dans laquelle elles sont exprimées.

Mais non, il y a encore ces mots qu’on trouve stylés et mignons en français ou en anglais, mais qui traversent la gorge comme un chat noir quand ils sont traduits dans la langue locale. On s’offusque quand on insulte dans la langue du pays. C’est ainsi dans la plupart des vérités qui déragent, ces non-dits qui démangent causent du pus dans nos souches d’identité et de culture.

De culture, parlons-en aussi. Un peu. Beaucoup. A la folie. Folie des grandeurs. Quand on se berce du « I have a dream », mais quand on confond en même temps les deux Martin Luther de l’Histoire, on est loin de réaliser le rêve… De Miami à l’Arène sur le territoire, sans oublier les légendes juives dans les prières, sans passer outre le lissage brésilien sur la tête, la mode en direct de Paris sur le corps et les technologies asiatiques à portée de main. N’oublions pas ces consultations à 5 000 ar auprès des prêtres d’Inde qui lisent les lignes de la main, pendant que les guérisseurs locaux sont traités de sorciers…

Que valent soixante ans au juste ? Ma mère a soixante ans, elle est à la retraite, mais nous, ses enfants, ne sommes même pas encore capables de lui rendre justice… Je ne peux m’empêcher de faire la comparaison avec le pays, donc que valent soixante ans au juste ?

NA HASSI
Illustration : Sabella Rajaonarivelo