Vendre son art, vendre son âme
Chaque artiste affirme, un jour ou l’autre, que son art c’est son âme, ou du moins en contient une partie. Vendre son art ne revient-il donc pas à vendre son âme ou du moins une partie ? Voilà une conclusion bien trop hâtive, diront certains. D’autres soutiendront que non, qu’il ne faut pas tout confondre, que le prix c’est pour le matériel utilisé, la complexité de la technique ou encore le temps consacré à la création. D’autres rajoutent même l’âge ou l’année d’exercice de l’artiste. Puis, quelques-uns, ceux qui sont en début de carrière par exemple, font le calcul pour estimer le tarif. À une ère où tout est monnayé et que « vivre de son art » semble une devise qui séduit, il devient de plus en plus difficile d’être un artiste qui « réussit ».
C’était inévitable. La société de consommation n’a pas pu résister à mettre le prix sur les œuvres d’art. Encore faut-il distinguer ce qui est art et ce qui ne l’est pas. Pendant que le monde est encore divisé par cette définition, il a fallu que le commerce de l’art vienne en rajouter une couche. Parce qu’il ne suffit plus pour un artiste d’être « reconnu », il faut maintenant qu’il soit « vendu ». La confusion entre prix et valeur n’a jamais été aussi évidente. Sur quels critères un artiste peut-il se vendre ? Celui qui ne parvient pas à échanger sa création pour quelques chiffres n’est-il donc pas méritant ? Celui qui vend plus cher serait-il plus estimé que celui qui propose à moindre coût ? Le premier serait-il plus accompli et le deuxième aurait-il peu d’estime pour lui-même et sa muse ? Puis, vient ensuite l’étape où on consulte ceux qu’on croit faire « la même chose » pour se situer. Bien sûr, cette démarche comparative est parfois insensée et peu objective dans la mesure où toute création est personnelle, pour la simple raison qu’elle contient notre âme.
Qui est donc le plus qualifié pour fixer le prix ? L’acheteur ou l’artiste ? Ceux qui ont étudié le marché de l’art ont une série de réponses. Néanmoins, quand l’art de vient une vulgaire marchandise et qu’on ne pense plus qu’à « se » vendre, toute la beauté disparaît. Créer devient une sorte de contraintes et perd tout son pouvoir libérateur. À ses débuts, un artiste crée pour s’affranchir d’une émotion, d’une pression, pour exprimer une liberté ou une beauté. Puis, le marché, le succès et les « clients » commencent à mettre la pression et certains créateurs sont de plus en plus tourmentés. Les artistes se sont libérés d’une pression pour en subir d’autres.
D’un autre côté, il y a aussi ceux qui refusent (ou ne parviennent pas) de vendre et pointent du doigt ceux dont les œuvres « marchent bien ». C’est ainsi que les rumeurs commencent à circuler. C’est dans le milieu de l’art que les médisances se répandent le plus vite. Avec le réseautage, il est tout aussi facile de trouver sa place que de la perdre. Pourtant, bien qu’ils soient artistes, ils sont toujours et encore des humains, avec des défauts et des besoins. Les pseudonymes ne serviraient-ils pas à dissocier l’artiste de l’individu ? Toutefois, les deux sont indissociables puisqu’ils sont rattachés dans un même corps. Quand les besoins du corps viennent justifier les besoins de l’âme, l’art devient purement matériel.
La réponse à l’ultime question est personnelle pour chaque artiste. Les besoins du corps ont inventé les agents et les managers. Néanmoins, ça ne résout pas encore la question, parce que ces derniers seraient-ils des vendeurs d’âmes ? Voilà une conclusion bien trop hâtive, diront certains…
NA HASSI
Illustration : Sleeping Pop