VERS UN (im)MONDE
MEILLEUR ?

L’homme éprouve le besoin de recréer le monde parce qu’il ne sait plus se contenter de ce qu’il voit. Il n’est plus satisfait de ce qu’il entend. Il ne se réjouit plus de ce qu’il sent. Il y a en lui ce désir démesuré de posséder tout ce qu’on peut lui offrir. Son ambition de tout vouloir à portée de main le dépouille de ses réels pouvoirs.

Les mains ne savent plus recevoir un Cadeau, leur authentique présent. Elles ont pris l’habitude de prendre comme si tout leur est dû. Elles ramènent un bouquet dans un vase quand elles croisent des fleurs sauvages. On dénude les prés pour pouvoir habiller son salon.

Les yeux ont oublié de mémoriser la beauté de la Nature, leur unique témoin. Ils ont besoin d’une reconstitution en photo, en tableau ou en film pour se souvenir. Les paupières sont devenues des cimetières de cauchemars d’hier, mais ne sont plus des gardiennes des rêves de demain. Demain…parce qu’on doit se lever tôt, on n’a plus le temps de rêver.

Les oreilles ne captent plus le langage de l’Univers, leur seul confident. Ils n’écoutent le chant des oiseaux et le bruit des feuilles qu’à travers une musique de relaxation. Les tympans se consolent des chuchotements des vagues piégés dans un casque. Pour pouvoir aimer le monde extérieur, il faut désormais s’enfermer chez soi.

La langue ne reconnaît plus le goût de la Terre, sa véritable nourricière. Elle est envoûtée par les saveurs de synthèse que ces Panoramix lui font goûter, avec la mention « bio » pour mieux alléger la conscience. Ses papilles en sont devenues addictes et réclament de plus en plus d’artifices dans les recettes.

Le nez ne respire plus le parfum de la Forêt, ses vrais poumons. Il renifle à outrance ces extraits de plantes en flacons, avec un pourcentage de « naturel » pour apaiser le cœur. Pour soulager ses allergies, il inhale ces huiles qu’ils ont baptisées essentielles. La cage thoracique est devenue la prison de toutes ces puanteurs de ce qu’ils appellent « progrès de la science ». Quand les odeurs sont trop fortes, ils s’empressent de désodoriser.

La Nature n’est que l’amplification de ce que nous sommes. Elle ne fait que nous rendre ce qu’on lui donne. Se venger n’est pas dans sa nature, elle n’est que le miroir de notre âme. On sait sans doute qu’on ne peut donner que ce qu’on a. Dans sa générosité instinctive, la Nature nous rend l’écho de nos bruits, de nos silences, de nos peurs, de nos colères et de nos haines. Quand on lui donnera autant d’amour, elle nous le rendra encore plus.

Que nos mains caressent sans écorcher. Que nos yeux admirent sans jalouser. Que nos oreilles écoutent sans décomposer. Que notre langue goûte sans dévorer. Que nos narines respirent sans embraser. Quand nous aurons retrouvé notre véritable humanité, nous n’aurons peut-être plus besoin de créer pour trouver ce monde plus captivant.

NA HASSI
Illustration : Sleeping Pop