Déconfinement progressif :
comme un « New Year, New Me » ?

Comme si l’année peut « enfin » commencer. Un « retour progressif à la vie normale » a laissé présager la voix qui s’est échappée de la radio nationale. Après quelques mois de remise en questions où se sont mêlées toutes sortes d’émotions, nous voilà presque « relâchés »…

Voilà le temps qui affiche sa victoire, qui étale son pouvoir. L’homme en cage aura donc fini de cocher les cases de son calendrier. Ces mois vont emporter tout ce qu’on n’a pas réussi à faire. Ce semestre va engloutir toutes ces bonnes résolutions, qui n’étaient pas celles prises en fin d’année d’ailleurs. Il n’y a pire peur pour l’humain que d’avoir une preuve du temps qui passe dans le vide, alors il fallait s’occuper autant que possible. L’après confinement est le nouveau repère temporel, plus pertinent et plus vivace que le réveillon de la Saint-Sylvestre.

On se permet de nouveaux espoirs, même si on ne fait que recopier nos vœux passés, sans se donner les moyens pour les exaucer. On se fixe des objectifs, même si on ne fait que reprendre ceux de d’avant-confinement, sans penser réellement à fournir les efforts pour les atteindre. On décide de nouvelles résolutions, même si – en réalité – ce sont les mêmes qu’hier, mais ne pas les tenir n’est pas chose grave, il nous reste encore un peu de temps. On s’accorde une nouvelle chance de changer, même si on reste la même personne, avec toutes les mauvaises habitudes que ça implique. N’est-ce pas là le piège fatal du « retour à la normale ? » On promet à nouveau que les anciennes promesses vont – cette fois – être tenues. On se dit que c’est l’évènement qui ne nous a pas permis de réaliser nos rêves. Que ce n’était pas le bon moment, malgré qu’on se soit souhaité bonne année, comme à chaque fois. Que les vœux qu’on nous a présentés manquaient sûrement de sincérité. Que le monde est rempli de jaloux et d’hypocrites qui nous veulent du mal. Voilà qu’après la « bonne année » de décembre, on a le sentiment de revivre ce moment au milieu de l’année, mais on reste avec une sensation d’inachevés. Comme si on n’est pas encore prêt, qu’on a encore beaucoup à faire finalement. Bien sûr, plus que jamais, nous avons beaucoup à faire. On reste les mêmes.

Les réjouissances n’ont d’égales que les frustrations de l’enfermement des mois précédents. On prend donc un nouveau départ. Comme Janvier qui débarque souvent trop vite, Août semble avoir couru un marathon. Bien qu’on n’ait attendu que ce moment, on ne semble pas finalement si prêt, puisque le réflexe est de « reprendre » là où tout s’est arrêté. Seul le calendrier et les dates sont prêts à se faire oublier. On s’empresse alors de se goinfrer et de s’engouffrer. On se précipite de boire et de vomir, cette fois les dernières amertumes de la veille.

Heureusement, comme Janvier, c’est aussi le traditionnel – incontournable – inévitable  « New Year, New Me ». Malgré toutes ces mauvaises habitudes dans lesquelles on se laisse enliser, un nouveau départ est la meilleure occasion pour commencer une nouvelle aventure. Une opportunité de continuer notre histoire, en terminant un chapitre, d’en ouvrir un autre, sans déchirer les pages précédentes. Sans déchirer. En effet, si on souhaite rester entier, il est bien prudent de ne rien briser en partant. Qu’on nous ait fait mal pendant des mois durant, inutile de garder la haine ou la colère en soi. En désirant détruire les autres, on se détruit soi-même avant tout. Ne rien briser en partant. Ne pas claquer la porte. Fermer délicatement et s’éloigner avec dignité, avec la ferme conviction de partir loin de tout. Suffisamment loin et détaché pour qu’aucune de ces blessures ne viennent s’ouvrir par la suite. On ne s’encombre plus d’hier, on libère ses bras pour l’ouvrir à aujourd’hui. Car le demain qu’on nous a promis, le demain est un autre jour, est enfin arrivé. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas de temps à perdre pour mieux vivre. Doit-on vraiment « reprendre une vie normale » ou avancer autrement pour que ces interminables quinze + quinze aient un sens, ne serait-ce qu’un peu ?

NA HASSI
Illustration : Andou Baliaka