Retour au Pays - Marie-Charlotte HAHN

RETOUR AU PAYS

Première partie : avant le départ

 

Mars – La nouvelle tombe brutalement : une épidémie inconnue bouleverse le monde

Comme tout le monde j’enrichis brusquement mon vocabulaire : coronavirus, covid, confinement, déconfinement, distanciation sociale, cluster, quatorzaine…

Comme tous ceux qui vivent à l’étranger et se trouvent en France, plus d’avion pour rentrer chez soi. Mon ami Lionel ne peut plus rentrer aux États Unis, ma belle-fille en Australie et moi à Madagascar.

Je suis partie de Tana fin janvier pour régler des affaires importantes et je devais revenir chez moi le 29 mars. Je me console, c’est l’affaire de 15 jours, un mois tout au plus. J’ai un billet retour Air France. Nice Paris, Paris Tana.

Impossible de joindre Air France pour changer les dates des billets.  Le plus inquiétant lorsque je consulte ma réservation sur le site c’est de constater que mon vol Nice Paris est confirmé tandis que l’autre est annulé : absurde, bien entendu.

Alors je recommence et recommence à composer le numéro d’Air France, à écouter leur laïus interminable « Le temps d’attente est plus long que d’habitude bla, bla, bla, allez sur notre site, bla, bla, mais enfin si vous insistez faites le 1, nouveau blabla, puis faites le 2…etc. ».  Il paraît que tous les employés ont été mis au chômage partiel. Juste une remarque très bête : on ne peut pas les mettre au téléphone même partiellement ? Mais non, quelle déchéance ce serait pour un steward ou – scandale – un pilote de devenir téléphoniste ! À quoi je pense !

Enfin après plus d’une heure de sonneries interrompues par «  Ne quittez pas, un conseiller va prendre votre appel » quelqu’un répond, mon billet est reporté… Il le sera 6 ou 7 fois. Évidemment ce n’est pas la faute d’Air France mais le cinéma du téléphone recommence avec chaque fois une attente plus longue jusqu’à la dernière ou carrément la ligne est coupée dès que le numéro a été composé.

En écoutant les infos je soupçonne la compagnie de ne pas toujours être mécontente de la situation : le standard téléphonique fermé, donc plus d’appels désagréables de passagers énervés ; quant aux vols dont la durée sera inférieure à 3 ou 4 heures, plus rien à boire ni à manger, donc pas de repas à servir et à desservir et des économies encore plus drastiques qu’à l’accoutumée.

 

Avril – vol reporté à mai

 

 Mai – vol reporté à juin

 

 Juin – vol reporté à juillet

 

 Juillet –vol reporté au 3 septembre

Des vols de rapatriement dans le sens Madagascar- France sont organisés mais pour des raisons qu’il serait fastidieux de tenter d’élucider, mais qui ne peuvent être que de bonnes raisons, nul vol n’est prévu dans le sens contraire. Je fais partie des privilégiés qui ont un logement mais je pense à tous ceux qui sont dans une situation dramatique, sans argent, logés à l’étroit dans la famille quand ils en ont une. Et toutes les familles séparées dans un temps où justement des problèmes de santé risquent à tout moment de frapper les uns ou les autres.

Le bouche à oreille fonctionne encore assez bien et on murmure qu’en août Air Madagascar sera chargé de plusieurs vols de rapatriement.

De passage à Paris je vais m’inscrire à l’ambassade de Madagascar sur une liste de personnes souhaitant rentrer chez elles. J’ai en outre un problème particulier : j’ai bénéficié pendant longtemps d’un visa de courtoisie annuel et j’ai pensé qu’il serait tout de même plus confortable et normal de solliciter un visa de résident pour rapprochement familial puisque mon conjoint, lui, est détenteur d’un visa définitif. Hélas pour obtenir ce type de visa même si je réside à Mada depuis plus de 30 ans il faut obligatoirement passer par la France, Marseille ou Paris.

J’ai donc fait ma demande en arrivant en France à partir de Marseille et obtenu ce qu’on appelle un visa transformable (et qui sera transformé, enfin je l’espère, en véritable visa long séjour par le Ministère de l’intérieur une fois arrivée à Tana) MAIS ce visa transformable a une durée de 6 mois. Il expirera le 8 août.

Très compréhensive l’ambassade de Madagascar me dit que sa durée sera prolongée gratuitement – merci – MAIS pas par eux car mon dossier est à Marseille. Savez-vous qu’aujourd’hui il existe internet et la messagerie électronique qui permet de transférer des dossiers ? Non, non, non, l’ambassade n’aime pas la facilité.

Je retourne à Antibes, à tout hasard j’appelle le Consulat de Madagascar à Marseille. Miracle, ils décrochent. Un VRAI miracle car jamais aucun numéro n’a répondu que ce soit à l’Ambassade à Paris ou au Consulat de Marseille. Merci Sainte Vierge de vous être penchée sur le problème. Mais oui c’est la Bonne Mère de Marseille qui a dû intercéder auprès des autorités suprêmes. En fait mon mari m’apprendra qu’un nouveau Consul vient d’arriver à Marseille. Qui est-il ou elle ? Je veux embrasser cette femme ou cet homme. Pourtant ma gratitude ne dure que quelques minutes, le temps d’apprendre qu’aucun visa ou prolongation de visa n’est donné tant qu’il n’y a pas de vol vers Madagascar.

– Mais je suis inscrite sur un vol de rapatriement …

  • Eh bien vous nous rappellerez quand le vol sera décidé et que vous y serez inscrite…

 

Août – aux alentours du 8 je décide d’aller à nouveau passer quelques jours à Paris.  Le 12 ou le 13 j’apprends que 2 vols de rapatriement sur Mada sont organisés. L’un le 15 août, le deuxième le 22.

Mon mari s’occupe activement de me faire inscrire sur le deuxième vol car pour le 15 c’est trop juste. Je dois repartir à Antibes, faire mes valises et surtout aller à Marseille pour avoir cette maudite prolongation de visa. Et il faut aussi faire un test PCR.

Puis j’ai la joie de recevoir un mail que je ne jetterai jamais car j’adore sa formulation : « J’ai le plaisir de vous informer que vous avez été sélectionnée pour… » J’ai cru que c’était pour participer à « Qui veut gagner des millions » mais non, j’avais juste gagné le droit de rentrer chez moi…

De Paris j’appelle le Consulat de Marseille. Le miracle sera-t-il renouvelé ? Oui, on me répond, oui, ils prolongeront mon visa, oui, je peux venir le vendredi 14 août.

Donc en repartant dans le Sud chez moi à Antibes, je m’arrête à Marseille, prends vite un Uber pour aller au Consulat intelligemment situé au diable ce qui évite qu’on y aille pour des broutilles et qu’on dérange.

Je suis reçue avec beaucoup d’amabilité, obtiens ma prolongation au bout d’une petite heure d’angoisse. Lorsque j’arrive il n’y a personne d’autre au Consulat. Un silence absolu règne. Je me présente, donne mon passeport. Je suis reçue avec beaucoup d’amabilité. Soudainement la jolie villa semble sortir d’un sommeil de 100 ans. J’entends des conversations, je vois des employés qui vont et viennent. Serait-ce pour moi toute cette agitation soudaine ? Il faut le croire puisque de temps à autre j’entends prononcer mon nom. J’espère qu’il n’y a aucun problème. Finalement j’ai mon tampon sur le passeport que je range soigneusement au fond de mon sac. Quant au sac, je le serre fort sur mon cœur, je vous assure qu’aucun voleur marseillais ne peut me l’arracher. Je rappelle un Uber, repars à la gare, reprends un train pour Antibes.

Mais il faut payer ce billet d’avion. Car ne croyez pas que j’aie été sélectionnée pour gagner le billet ! J’ai juste le droit de l’acheter et encore n’est-ce pas si facile que cela. Impossible à partir de la France donc c’est mon mari qui va dans les bureaux d’Air Mad à Tana le payer ! Là il apprend qu’hélas, contrairement au vol du 15 août, celui-ci ne s’arrêtera pas à Marseille. Il partira le dimanche 23 août de Paris.

Vite il faut faire le test PCR. Dans le même mail expédié à J moins 5 l’ambassade de Mada insiste sur le fait que le prélèvement doit être fait au plus tôt 4 jours avant le départ et demande également qu’il soit effectué immédiatement. On ne comprend rien à ces exigences contradictoires. Je fais intervenir deux personnes que connait bien ma cousine pour passer le plus vite possible le test et pour en avoir les résultats tout aussi rapidement (il faut normalement 48h pour obtenir ces résultats car les labos du sud-est sont débordés). J’ai bien fait car dès le lendemain les résultats me sont réclamés à plusieurs reprises d’ailleurs bien qu’ils aient déjà été expédiés.

Qu’importe, je vais rentrer. C’est tout ce qui compte. Voilà 7 mois que je n’ai revu ni mon mari, ni mon père lequel a 94 ans et ne va pas bien.

Je décide de partir d’Antibes le 22 afin de passer la dernière soirée avec ma fille. Petite angoisse car tous les trains pour Paris à partir de 8 heures sont complets et archi complets. Finalement à 6 heures du matin il y a de la place sur un Oui Go. L’histoire touche à sa fin. Du moins le croyais-je naïvement…

Deuxième partie : Le voyage

 

Samedi 22

4 heures du matin – Antibes Petit déjeuner, douche, contrôle de la fermeture des deux valises de 23 kg chacune, contrôle du contenu du sac à dos de 12 kg.  Le passeport est là, le billet aussi, les affaires pour la seule nuit d’hôtel que je dois passer à Paris sont bien dans la poche extérieure de l’une des valises.

5h30 – Ma cousine vient me chercher. Bien que la gare soit très proche marcher quelques mètres avec ce chargement était possible mais exténuant. Elle me dépose devant la gare. Il ne me reste plus qu’à accéder au premier quai celui qui est juste devant l’entrée d’où partent tous les trains qui vont vers Marseille ou Paris. Deux autres voies qui nécessitent d’utiliser le passage souterrain servent généralement aux trains qui vont dans la direction opposée.

Exceptionnellement aujourd’hui le Oui Go s’arrêtera sur l’une de ces deux voies. Deux employés SNCF passent :

  • Est-ce que les ascenseurs marchent ?
  • Mais oui, Madame, répondent-ils, comme si c’était une évidence.

La semaine précédente, en revenant de Paris l’un des deux était en panne. Je remercie les aimables employés porteurs de cette bonne nouvelle. Je me réjouis. Trop vite. Le premier ascenseur celui qui descend vers le passage souterrain, fonctionne en effet mais l’autre n’a toujours pas été réparé. Il me faut monter un à un mes bagages. Le quai est désert hormis deux vieilles dames. Quant aux employés qui m’ont affirmé que tout fonctionnait à merveille ils sont allés se cacher et ils ont eu raison.

Ma place dans le train est à l’étage. La malédiction continue. Heureusement une jeune femme m’aide à monter mes bagages.

Bref le voyage commence si mal qu’une cloche d’avertissement résonne dans ma tête et me dit de me méfier. Une sorte de superstition s’insinue en moi et me souffle que ce train sur la voie non habituelle, cette ascenseur défectueux (quoique là ce soit habituel) , cette place à l’étage, tout cela constitue de mauvais présages.

Je fais taire cette vilaine voix intérieure et je m’assois, non pas à ma place réservée mais dans le couloir sur une banquette bien plus accueillante d’où je peux tranquillement avoir mon sac à dos près de moi et passer des coups de fil.

10h43 – Une heure avant d’arriver à Paris je constate qu’un message vient d’arriver dans ma boite mail. Provenance « Ambamada ». Tiens ! ils doivent me redemander mon test ou mon numéro de téléphone. Non, on m’informe que le vol suite à des problèmes techniques est reporté à une date ultérieure qui me sera communiquée…ultérieurement. Mais ce qui me rend encore plus hystérique c’est de lire « Le vol Paris Marseille Antananarivo est reporté… » MARSEILLE ??? C’est quoi cette histoire ? Depuis quand le vol s’arrête-t-il à Marseille ? Et pourquoi n’ai-je pas été prévenue ?

J’envoie un mail indigné à l’ambassade de Madagascar qui étonnamment me répond très vite, expliquant que c’est seulement suite à la panne qu’ils ont intégré Marseille dans le plan de vol. Je ne vois pas bien le rapport.

J’ai la chance, si l’on peut dire, d’avoir un hôtel qui a des chambres disponibles dans les jours suivant mais ma bourse est exsangue.

 

Dimanche 23

16 heures – L’ambassade de Madagascar nous informe que le vol est reporté au mardi 25 août à 21h. Pardon, 21h05 pour être précis.

 

Lundi 24

Je déjeune et dîne avec ma fille. On se dit au revoir pour la septième ou huitième fois depuis que je suis en France.

 

Mardi 25

15 h Direction Roissy avec un Uber. L’accès à l’arrivée du terminal 2C est en travaux. Juste le 2C ! Malédiction, quand tu nous tiens… Le Uber doit accéder aux parkings pour pouvoir s’arrêter et me laisser près d’un endroit où se trouvent des chariots bagages.

16 h – Je reconnais déjà dans l’aérogare des Malgaches arrivés comme moi bien avant l’heure trop heureux d’avoir été sélectionnés pour rentrer au pays.

Je vais m’occuper de mes détaxes. L’une passe très bien mais l’autre concernant l’ordi que j’ai acheté en arrivant fin janvier pose problème.  Oui, me dit avec hauteur un douanier idiot et désagréable, elle a plus de 6 mois.

– Vous savez quand même que depuis on ne peut plus prendre d’avion ?

Il maugrée mais tamponne quand même mon papier et m’explique qu’après les contrôles je trouverai un bureau dans lequel on me remboursera en espèces.

17h – J’ai fini mon café et je vais voir si par hasard l’enregistrement prévu à partir de 18h n’a pas commencé. Mais si ! Une queue immense est déjà formée. Certains réouvrent leurs valises au dernier moment, enlevant quelques affaires pour éviter de payer l’excédent de poids, mettent ce qu’il y a en trop dans des sachets qu’ils tentent de caser dans le bagage cabine, ou qu’en dernier recours et avec désespoir ils remettent à la personne venue les accompagner…

19h – Je passe sous douane et vais à la détaxe. Fermée. Le responsable a dû aller aux toilettes…Mais renseignements pris, il s’y est rendu le jour du confinement et depuis plus personne ne l’a revu. Le douanier d’avant les contrôles, sûr de son impunité, se moque des gens.

21h et des poussières – On décolle de Roissy. Cette fois on tient le bon bout. Les moteurs de l’avion tournent correctement, l’horaire est respecté. On se pose à Marseille et on attend les passagers qui doivent monter à bord.

22h – Personne

22h30 – Personne

23h – Personne et surtout pas d’explication

23h30 – Personne et toujours pas d’explication. Ils sont aussi loquaces que la SNCF. Ils ont dû, les uns et les autres, faire leur la devise de la reine d’Angleterre : never explain, never complain. Never explain pour eux ; never complain pour nous. Nous nous plaignons quand même mais pour le moment nous partageons nos doléances entre nous.

 

Mercredi 26

0h00 – Une horde de passagers bruyants dont quelques-uns ont l’air bien éméchés, tous portant trois ou quatre bagages cabine plus des sacs en provenance du duty free, trois musiciens avec des guitares, s’engouffre dans l’avion. Les hôtesses et les stewards acceptent sans mot dire cette profusion de bagages ne demandent même pas qu’on les mette en soute. Leurs propriétaires veulent à tout prix les faire entrer dans les racks et pour cela écrasent sans vergogne les affaires des passagers montés à Paris. J’interviens avec fermeté pour protéger mon sac. Le type voit ma détermination et préfère écraser finalement le sac de mon voisin. Je m’en fiche. Chacun pour soi. L’avion est devenu une jungle.

Environ 1h00 – Des vociférations se font entendre une vingtaine de rangées derrière moi. Je ne comprends pas vraiment ce qui se passe mais je vois une valise qui empêche un rack de se fermer et le ton monte. Plusieurs personnes sont debout. C’est finalement un membre de l’équipage qui met fin à l’histoire tandis que les passagers crient leur mécontentement, persuadés que c’est cette histoire de valise qui nous retarde.

Environ 2h00 – Toujours rien. Toujours aucune explication. C’est le stew qui se charge de nous clarifier le problème dans l’allée et non pas au micro. La longue piste de Marseille est fermée pour cause de travaux et nous ne pouvons pas emprunter la courte piste car notre avion est trop lourd.

Ah bon ?! Et on s’en aperçoit maintenant ? Ni Air Mad, ni la tour de contrôle de Marseille n’y ont songé auparavant ? On est dans un avion ou dans un taxi brousse ?

Mais, nous dit le stew, nous allons nous alléger en vidant du kérosène, ensuite nous irons à Lyon où il y a une longue piste, nous referons un plein, et de là nous pourrons partir pour Madagascar. C’est simple, non ?

Le problème c’est que Lyon refuse. Nous ne sommes toujours pas informés officiellement.  Je saurai le lendemain par un passager avec lequel je bavarde à l’aéroport que lui avait appris tout cela bien avant tout le monde dans l’avion grâce au fil d’actualité de Midi Madagascar qu’il a songé à consulter !

2h00 et des poussières – On nous sert un dîner froid dans l’avion. A tous en même temps ; donc, tous en même temps nous enlevons nos masques permettant ainsi aux microbes des uns et des autres de circuler joyeusement. Les minuscules écrans télé incrustés dans les sièges des passagers nous narguent en affichant Marseille avec entêtement sur la carte qui affiche notre trajet.

3h00 et des poussières car je ne regarde même plus l’heure – On nous fait débarquer dans la salle de transit de Marseille. Immense avec des prises électriques partout, environ 2 prises tous les 6 fauteuils. Ouf, mon téléphone n’a plus que 13 pour cent de batterie.

Fausse joie, AUCUNE de ces prises ne fonctionne. Elles sont juste là pour faire joli !

Je repère heureusement une prise sur une plinthe et m’y branche. Arriveront ensuite des malheureux qui voudront la partager, ce sera possible avec les deux premiers.  Pour les autres…C’est toujours la loi de la jungle : les plus forts, les plus malins…Je laisserai ma place dès que j’aurai 50 pour cent…

Une longue attente commence. Vers 6h je m’assoupis sur mon sac qui me sert d’oreiller.

7h30 environ – En me réveillant je vois une longue queue formée devant un comptoir. Ah on va remonter dans l’avion. Nenni ! La queue c’est pour avoir deux bons, l’un de 5 euros et l’autre de 15 pour le petit déjeuner et le déjeuner.  Je me le fais répéter deux fois.

La queue pour le petit déjeuner est telle que je préfère m’en passer. J’erre dans l’aéroport trouve plus loin des toilettes pour handicapés très propres. J’en profite pour enlever ce fichu masque, me rafraîchir. Je trouve une banquette et je dors une heure. Puis je vais faire un tour au relay ouvert. Puis je lis. Puis je regarde un bout de film sur ma tablette ; le temps s’écoule lentement.

Je vais prendre un thé et un croissant. Je retourne dans la salle principale : les uns dorment, les autres chantent ou dansent. D’autres encore bavardent.

Je vais, bien avant midi, choisir mon déjeuner avant que la queue ne se forme. Je bavarde avec un ou deux passagers. Le repas est l’occasion de poser le masque et de respirer.

Une annonce avait fixé notre heure de départ à 17 heures, une deuxième annonce rectifie, ce sera à 16h30. Une demi-heure de gagnée. Merveille, c’est toujours ça de pris !

Je repasse par la salle principale. Ceux qui chantaient sont à présent bien excités. Quelques-uns hélas boivent et pas de l’eau. Le duty free ouvert a pu fournir en alcool tous ceux qui le désiraient. La police doit intervenir : un énergumène court après un type en l’invectivant. Il zigzague dangereusement. Si on ne l’embarque pas il va falloir chercher sa valise qu’il est incapable de reconnaître. Les autorités font semblant de ne rien avoir vu.

16h30 – Pas la moindre agitation qui laisserait deviner un embarquement proche.

17h – Toujours rien.

17h30 – On commence l’embarquement. On ne sait pas pourquoi, si ce n’est par perversité, on nous avait annoncé le départ pour 16h30.

A nouveau ruée vers les racks où s’entassent sacs, valises, vestes. Il ne reste pas 1 cm3 de libre.

L’ivrogne arrive l’un des derniers dans l’avion et perd son pantalon qui tombe sur ses chevilles. Fou rire. Quelqu’un l’aide obligeamment à se rhabiller. Pourvu qu’il se tienne à carreau. L’une de mes voisines me dit qu’elle le connaît, qu’il n’est pas méchant. Mais tout de même je lui fais remarquer qu’ il courait après quelqu’un tout à l’heure en l’insultant.

–  Non, non, c’était un de ses copains et c’était sa manière de lui manifester son amitié.

– Ah bon ! alors pas de problème…

Pendant notre arrêt forcé les femmes de ménage sont passées et ont embarqué toutes les couvertures que l’on venait de nous distribuer y compris celles qui n’avaient pas été ouvertes et étaient encore sous plastique comme la mienne. Never explain. On nous informe qu’il n’y en a plus, sans nous dire pourquoi on nous les a enlevées. Never complain.

À partir de ce moment-là je ne regarde plus l’heure. C’est mieux pour ma santé mentale.

On a dû mettre un peu plus d’une heure pour embarquer, 30 minutes pour arriver à Lyon. Deux heures pour faire le plein.

Vers 21 h 30 approximativement – Nous décollons. Notre arrivée est prévue pour le lendemain 7h30 heure de Madagascar.

 

Jeudi 27

5h30 – Ayant pris un somnifère je n’ai pas vu le temps s’écouler. J’ai dormi au moins 4 heures. Dans deux heures nous serons à destination. L’avion se pose et malgré tout ce temps perdu, malgré la fatigue, l’énervement, tout le monde, y compris moi, nous applaudissons. Nous voilà chez nous. Nous allons revoir nos familles, nos amis.

7h30 – Nous débarquons, nous savons qu’il reste encore un long chemin de croix avant l’hôtel ou nous devons passer 4 jours. J’en rêve de cet hôtel, au moins pour prendre une douche et puis dormir, dormir…

En effet on passe sous une tente pour désinfection, puis prise de température. 35, me dit le préposé au thermomètre. J’ai dû mal entendre ou je suis déjà morte et la queue ce n’est pas pour le test PCR qu’il faut refaire mais pour voir l’un des employés de Saint Pierre qui va décider de combien d’années de purgatoire je vais écoper.

Après la queue pour le test, la queue pour la police puis pour les bagages. L’extrême fatigue se lit dans les yeux de tous à défaut de voir le reste des visages. Je m’effondre dans le minibus de l’hôtel ibis. On attend tous ceux qui se rendent dans cet hôtel. Le minibus démarre. Par la vitre je revois la ville. Mais après ce long périple j’ai l’impression étrange de voir plutôt un documentaire projeté sur un écran.

11h15 – On arrive à l’hôtel, on nous arrose les pieds puis nos valises avec une solution désinfectante. Une jeune femme malgache à côté de moi est prête à exploser : « quelle mascarade, c’est pas comme si on venait de passer des heures et des heures collés comme des sardines dans une boîte, comme si on avait déjeuné et dîné depuis 48h  je ne sais combien de fois, encadrés de droite et de gauche par nos voisins sans masque… » Je suis bien d’accord avec elle.

J’entre dans la chambre d’hôtel. Je me jette sur le lit. Je suis arrivée, arrivée, arrivée…

 

Annick De Comarmond
Illustration :  Marie-Charlotte HAHN

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