Eau rime
avec mots

L’art est un langage, sans forcément être destiné à justifier ni avoir rien à faire comprendre. Tout poème assume une fonction initiale : libérer les lettres des phrases figées, affranchir les mots de leur sens premier. Le poète est un libérateur de mots, il les délivre de leur cage appelée « dictionnaire » et ouvre leurs chaînes dénommées « définition ». Les poètes sont des dessinateurs de lettres qui illustrent avec ses expressions. Une image peut se construire à partir de l’agencement de mots. Leur rencontre donne forme à la poésie. Elle peut être violente, agressive ou au contraire douce et attendrissante. Elle peut être libre ou métrique. Un poème peut être un lac calme comme il peut être une mer avec des vagues houleuses. Quoi qu’il en soit, « l’eau est la maîtresse du langage fluide, du langage sans heurt, du langage continu, continué, du langage qui assouplit le rythme. » [1] C’est par cette fluidité que la poésie attendrit ou réconforte. Dans la « parole de l’eau », il est une voyelle par excellence. « La voyelle a est la voyelle de l’eau… C’est le phonème de la création par l’eau. L’a marque une matière première »[2]. La préférence pour la voyelle est ainsi significative. Sa dominance dans un poème le tend vers l’eau et le rend matériellement minéral.  L’imagination se concentre ici sur l’eau dans sa quiétude. Il n’y a « pas de grande poésie… sans de larges intervalles de détente et de lenteur, pas de grands poèmes sans silence. L’eau est aussi un modèle de calme et de silence »[3]. Une poésie silencieuse trouve sa matière dans l’eau. Cette conception minérale de la poésie se justifie par les différentes évocations de l’eau et du liquide dans les poèmes. Les mots sont des indices, car « le véritable domaine pour étudier l’imagination… c’est l’œuvre littéraire, c’est le mot, c’est la phrase. » [4]La poésie vit de la parole et du langage. Elle s’anime ensuite par les images et la feuille devient une toile. La plume est pinceau. L’encre est peinture. La force d’un poème se mesure à la puissance des images qu’elle suggère. L’imagination se nourrit de ces images pour recréer une réalité ou dessiner un rêve. Les écrits sont le miroir de l’état d’âme du poète. « L’art a besoin de s’instruire sur des reflets, la musique a besoin de s’instruire sur des échos. C’est en imitant qu’on invente ».[5]

 

 

[1] – BACHELARD, Gaston, L’eau et les rêves, Essai sur l’imagination de la matière, 1942, Librairie : José Corti. p. 250

[2]ibid. p.253

[3]ibid. p 258

[4]ibid. p 252

[5]ibid. p 259

NA HASSI
Illustration : Sleeping Pop