En passant par là…..

Et si on allait vivre à la campagne ?

 

Le nouvel album de Gunther Moss vient de sortir aux éditions L’harmattan BD. Le directeur de collection revient sur les raisons qui ont poussé l’éditeur à éditer cet album qui traite avec humour d’un sujet si peu abordé : la vie citadine sur le continent africain.

 

Selon les chiffres de la banque mondiale, 60 % de la population africaine vit toujours en milieu rural malgré un exode important vers les villes.

Cette réalité est très peu traitée dans la bande dessinée du continent, les auteurs préférant offrir à leurs lecteur des histoires se déroulant en milieu urbain, dans lequel ils se sentent le plus à l’aise.

Quelques exceptions sont à signaler cependant.

Il y a une trentaine d’années, le Congolais (RDC) Mongo Sisé (1948-2008), à l’époque installé à Bruxelles, évoquait dans Bingo en ville, le thème de l’exode rural et des difficultés des villageois à s’adapter à la ville et à ses dangers.

Un sujet dont s’étaient déjà emparés en 1973, Appollos (scén.) et Maïga (dess.) dans une série du journal Ivoire-Dimanche, Dago. Paysan trapu vêtu d’une culotte, d’un pagne et d’un parapluie, Dago parcourait Abidjan sans jamais s’intégrer à l’environnement citadin.

 

En 1978, Lacombe sortait Monsieur Zézé, toujours dans Ivoire-Dimanche. « Avec son vieux chapeau mou, sa chemise rayée et ses bretelles, « Monsieur Zézé » devient rapidement le représentant pittoresque du petit peuple d’Abidjan » (Alain Brezault – site Africultures). La série créera des polémiques, des critiques soulignant la paresse et la « gentillesse » de ce parasite sans emploi. L’aventure durera dix ans pour ce personnage peu en phase avec la vie urbaine[1].

Le décalage entre « villageois » et citadins fit aussi l’objet d’un album de Barly Baruti, La voiture, c’est l’aventure (1987). Dans cet album comique, Baruti dénonce en toile de fond « l’état piteux des routes de l’arrière-pays, la dilapidation des ressources, la croyance quasi infantile en la sorcellerie des citadins embourgeoisés, les maîtresses envahissantes, la corruption de la police et des fonctionnaires[2] », mais aussi le mépris affiché des citadins envers les habitants de la forêt. La signification des noms des deux héros est d’ailleurs révélatrice. Mohuta – le plus simplet en apparence – signifie l’ « étranger » en lingala ou, plutôt, l’ « étranger à la capitale ». Il est l’exemple même de la mentalité étriquée du provincial. Mapeka signifie « les épaules » ou « Monsieur Gros Dos », terme emblématique de la manière dont les paysans voient les citadins.

La confrontation (sans jugement de valeur dans ce cas-là) entre brousse et ville a été également décrite par Kizito (RDC) en 1996 dans Au village de Mambou, album qui décrivait une journée passée à la campagne par une classe de jeune élèves du lycée français.

En 1988, Tshibemba évoquait dans Cap sur la capitale, le parcours pittoresque et naïf de deux jeunes villageois désireux de « monter » vers la capitale en laissant derrière eux parents et amis pour aller chercher fortune dans la capitale. Comptant sur la fameuse solidarité familiale, ils sont accueillis dans la capitale et embauchés. Les deux héros seront victimes d’escrocs, de charlatans et de marabouts, toute une panoplie de gens malhonnêtes auxquels, ils opposent leur dynamisme, leur courage et leur honnêteté. Cet album sera réédité en 2017 dans la collection.

Enfin en 2012, Benjamin Kouadio, malheureusement décédé, depuis, racontait dans Les envahisseurs, la visite impromptue rendue par les membres indélicats d’une famille villageoise qui décidaient de venir profiter de la bonne fortune de leur cousin d’Abidjan, un malheureux comptable dont les affaires étaient jusqu’à présent prospères…

Et voici le troisième album de Gunther Moss.

Les deux premiers tomes de la série Laff Lafrikain montraient avec humour la modernité au fin fond de la brousse où la tradition ne parvenait pas à rester à l’écart des derniers développements du monde contemporain.

Dans ce nouvel opus –bien plus volumineux – Gunther Moss, avec ce ton tendrement humoristique qui lui est propre, emmène à nouveau le lecteur dans une Afrique où la notion de communauté prime par-dessus tout (le héros est même polygame) en n’émettant nul jugement de valeur, nulle moquerie ou critique vis-à-vis du style de vie des « campagnards » qu’il met en scène avec tendresse et respect.

Par ce biais, nous souhaitons rester fidèles à nos valeurs dont l’une d’entre elles est de faire découvrir une « Afrique racontée par ses créateurs, loin des clichés et des préjugés ».

Car L’Harmattan BD n’est pas qu’une simple collection d’albums de bande dessinée. Nous souhaitons également être un pont artistique et sociologique entre le nord et le sud en raccourcissant les frontières et en permettant une meilleure compréhension des cultures de chacun.

Souhaitons que La vie au village, album bien plus profond que son style graphique et son humour de façade ne le montrent, soit une pierre de plus dans cette voie-là.

 

Erstein, le 15 juin 2020.

Christophe Cassiau-Haurie, directeur de la collection L’harmattan BD

 

 

[1]          Monsieur Zézé est le héros de trois albums édités au Gabon chez Achka en 1989 et 1990 : Ca, c’est fort !, Ca gaze bien bon !, Opération coup de poing.

[2]          Antoine Tshitungu Kongolo, Du côte de la BD congolaise. Pôles, styles et genres, Congo strip, 2009.

Extraits