La famille :
un lien de sang ou de soins ?

En faisant une recherche sur le mot « famille », les premiers résultats sont « ensemble de personnes vivant sous le même toit » puis « ensemble de personnes unies par un lien de parenté ou d’alliance ».

Une première réaction : les personnes avec qui on ne vit pas ne sont donc pas de notre famille. Une deuxième réaction : les personnes avec qui on n’a aucun lien de parenté ou d’alliance ne le sont pas non plus. Déduction hâtive ou blessure non guérie ? Curieusement, toutes ces supposées définitions sont loin d’apporter la réponse recherchée. Du moins, elles ne rassurent pas, alors qu’on cherche à être rassuré(e) dans une famille. Est-ce une simple impression subjective ou une réalité dérangeante voilée ? On ressent comme un vide de sens, comme un creux d’existence. Paradoxalement, le lien semble serrer trop fort au point d’empêcher d’avancer seul. La notion de famille est floue, les visages paraissent étrangers, on ne parle pas la même langue et tout peut prêter à confusion.

Qui doit quoi à qui ? Qui doit protéger qui ? Qui est redevable envers qui et jusqu’à quand ? Pourquoi un tel doit respecter un tel ? Qui doit s’occuper de qui ? Qui peut dire quoi ? Qui doit écouter qui ? Etc. Le mot embarque avec lui des devoirs, des obligations et parfois même des sacrifices. Le mot passe sous silence des envies, il étouffe certains cris et absorbe de nombreux sentiments confus. Quand l’esprit de famille devient trop pesant, on finit par s’extraire du cercle qui est censé être notre « unique » refuge. On se sent alors comme un chien errant qui fuit en permanence les agents de la fourrière.

La conception de la famille évolue avec l’âge, et tout peut voler en éclats à un moment donné. Enfant, c’est une sorte de cocon protecteur, qui met à l’abri des brutalités extérieures. Simplement, parce que c’est tout ce qu’on connaît. Adolescent, elle s’apparente à une prison, qui empêche de courir après ses rêves d’ailleurs. Simplement, parce qu’on a découvert ce qu’il y a en dehors. Adulte, elle se transforme en un bâtiment à étages avec des services à chaque niveau. Simplement, parce qu’on connaît le dehors et on doit protéger ce qu’on a dedans. L’ordre peut être inversé, on passe d’immeuble à services au cocon protecteur après avoir visité la prison. C’est un jeu de société, la case où on atterrit dépend des dés lancés.

Les membres du cercle familial sont également différents selon les continents. Certains limitent au parent et à l’enfant, tandis que d’autres étendent jusqu’aux petits enfants, aux tantes, oncles et cousins. Ici, la définition « ensemble de personnes vivant sous le même toit » est sans doute la plus explicite. Toutefois, même quand les personnes ne vivent pas sous le même toit, leurs implications et leurs imbrications sont parfois plus fortes. Il est des moments où la solidarité se mue en sable mouvant entraînant tout le monde dans une spirale sans fin au point d’en donner le vertige et la nausée.

La technologie ouvre les fenêtres sur les autres. C’est ainsi qu’on s’est mis à rêver de la vie de famille d’autrui, à trouver l’herbe plus verte ailleurs. Cette réalité a davantage modifié le modèle familial, au point de déstabiliser encore plus. Pendant que les enfants d’ici aspirent à s’émanciper dès leur majorité et vivre librement, les grands-parents de là-bas doivent réapprendre à s’occuper de leurs petits-enfants. Combien d’ « enfants » vivent avec leurs enfants chez leurs parents dans ce pays ? Pourquoi vivre sans ses parents semble aussi « détaché », surtout quand on vit tous dans la même ville ou même quartier. Pendant qu’ici, élever un enfant unique relève d’un égoïsme sans pareil, d’un manque total de responsabilité, là-bas, on retarde de plus en plus la maternité, au profit d’ambitions professionnelles, existentielles ou autres. Combien de parents ont déjà entendu les proches, puis le voisinage, puis les connaissances, puis même les inconnus leur dire de donner un petit frère ou une petite sœur ? Quand on grandit dans une société aussi permissive et invasive, on a du mal à trouver sa propre voix. Est-il permis d’ailleurs de tracer son chemin ? De choisir sa voie et de ne pas suivre sa famille sans passer pour un ingrat, un délinquant ou une brebis égarée ?

Puis, il y a ces personnes avec lesquelles on ne vit pas et avec qui on n’a aucun lien de parenté, mais de qui on se sent plus proches et plus en sécurité. Nous voilà enfin compris. Elles nous connaissent mieux, elles nous écoutent et nous apportent le soutien dont on manque. Finalement, la famille doit mettre en avant cette définition : « ensemble de personnes qui prennent soins les uns des autres ».

NA HASSI
Illustration : Sleeping Pop