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LE LIVRE ROUGE

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Par Olivier Soufflet l Photos. IHOI

Du sang noir dans les veines de l’aristocratie créole ! Au début du dix-neuvième siècle, une grande peur envahit la société blanche de Bourbon. Esprit indépendant, féru d’histoire, l’abbé de Saint-Paul aurait tenu une généalogie détaillée des familles depuis l’origine du peuplement. Un registre des ascendances inavouables…

« J’ai entendu dire que M. Davelu avait un certain « Livre rouge » sur lequel étaient inscrites les généalogies vraies ou supposées de toutes les familles de la Colonie. Ce livre doit être saisi et détruit sans qu’il en soit pris lecture. Vous le chercherez dans sa bibliothèque et son mobilier, devant le maire de Saint-Paul et M. le Curé de Saint-Denis. » Dans le cabinet du gouverneur, le crissement léger de la plume d’oie courant sur le papier est le seul son perceptible. Le 8 décembre 1815, le général Bouvet de Lozier écrit au juge de paix de Saint-Paul. Quelques instants plus tôt, un messager, accouru de Saint-Paul, a appris la nouvelle : l’abbé Davelu est mort. Le messager attend, à l’écart, pour porter la réponse. Il y a longtemps que le général Bouvet, et beaucoup d’autres avec lui, attendent cette mort.

Le général est originaire de la Colonie, il est lui aussi directement concerné. Il ajoute un post-scriptum à son message au juge de paix : « Vous me rendrez compte de vos recherches et de l’exécution de cet ordre. Si les scellés sont déjà posés, vous le ferez lors de la levée, sinon dès à présent, autant que faire se pourra ; M. le curé de Saint-Denis vous donnera les renseignements à sa connaissance, pendant qu’il est sur les lieux.»

L’affaire du Livre rouge de l’abbé Davelu est singulière. Au-delà de l’anecdote, elle témoigne de cette angoisse de l’origine, traînée comme un boulet par une partie des familles issues des premiers colons. Dans la Réunion esclavagiste du début du dix-neuvième siècle, la société blanche prospère et dominatrice n’aime pas se remémorer ses ancêtres parfois peu reluisants. Ou du moins ses souvenirs sont sélectifs. La liberté des premiers temps, les amours désirés ou forcés entre Blancs et Noires, n’y ont pas leur place. L’île vit une période charnière. L’économie de plantation prend son essor. Une ère nouvelle s’annonce.

 

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