Le temps
ce sable mouvant
On aura beau fabriquer une montre carrée, le temps restera toujours aussi cyclique. Le monde n’est pas une question de forme, mais de fond. Le temps nous jouera des tours, chaque jour on tournera en rond. Le soleil perpétuera sa routine. La lune suivra son cycle. L’aiguille tournera dans le même sens. La pendule effectuera la même danse, un aller-retour sans fin. Le temps passe, le reste n’est qu’illusion.
Du bout de ses doigts, l’homme peut tenter d’arrêter sa Rolex et son mouvement en faisant reculer les aiguilles, mais ce geste n’est que fictif, il n’est pas réel. En réalité, l’instant continue de passer au suivant, qu’on en soit témoin ou non, qu’on en ait la preuve ou pas. Quand l’heure a sonné, le moment est arrivé, qu’il soit attendu ou pas.
Du bout de ses doigts, la femme peut tenter d’effacer les traces des jours en appliquant une crème de nuit, mais ce geste n’est que fictif, il n’est pas réel. Le sommeil apporte le réconfort, mais au réveil, ce sont les heures qui auront fait leur danse et auront veillé tard. En réalité, l’âge continue de s’infiltrer par les pores pour ressortir sur la peau. Quand les années reprennent leur pouvoir, c’est la vieillesse qui se reflète dans le miroir, qu’on s’y attendait ou pas.
Le soleil a-t-il eu peur de se coucher, surtout quand le regard de l’homme qui le contemple est triste ? La lune a-t-elle eu peur de ne pas croître, surtout quand le ventre de la femme suit ses mouvements ? Les heures ont-elles eu peur de passer, surtout quand les amants ne veulent pas se quitter ? Le jour a-t-il senti la pression, surtout quand ceux qui rêvent de posséder le monde veulent se lever tôt ? A-t-il ressenti de l’effroi quand l’homme menace qu’il veut « tuer le temps » ? L’âge a-t-il déjà perdu ses repères, surtout quand les enfants s’impatientent pour grandir et qu’une fois grands ils font tout pour rester enfants ? Les années passent et reviennent, qu’on ait ou non des réponses à ces questions.
Face à ce mouvement qui échappe à tout contrôle, serions-nous capable de regarder le temps filer sans en avoir peur ? Qu’est-ce qui nous effraie le plus exactement ? Ne pas voir le temps passer ou assister à son passage sans pouvoir rien faire ? Pourquoi ressentons-nous le besoin d’y faire quelque chose d’ailleurs ? Peut-être parce que nous n’avons pas autant confiance en l’Univers que la Nature le fait. Peut-être qu’en « pensant » être « conscient », on éprouve le besoin « d’agir ». Peut-être qu’à force de concurrencer la Nature et de défier tout ce qui passe sous nos yeux, on refuse d’admettre que nous ne détenons pas le pouvoir de changer quelque chose. On reste convaincu de cette parole qui recommande « d’être le changement qu’on veut voir dans le monde », mais avons-nous songé un instant que c’est peut-être parce qu’on a trop voulu changer auparavant qu’on est aujourd’hui obligé d’apporter du changement, encore ?
Le temps donnera peut-être l’impression de ne pas passer quand on arrêtera de chercher des moyens, des produits et des inventions pour l’arrêter ? Quand nous accepterons de vivre le présent, sans vouloir contrôler le futur. Quand nous accepterons les empreintes du temps sur notre corps, comme les feuilles acceptent de jaunir et de tomber quand le moment est arrivé. Il est peut-être temps qu’on apprenne à faire confiance au temps, qu’on se réconcilie avec ce qui nous régule, qu’on admette enfin qu’on fait partie de la Nature, mais pas destiné à la dominer comme on a voulu nous le faire croire il y a longtemps.
Quoiqu’il en soit, merci du temps que vous nous avez accordé pour lire 🙂
NA HASSI.
Illustration : Sleeping pop