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RADAMA III - Episode 4

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Par Raoto Andriamanambe l Illustration : Mendrika Ratsima

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Le jour du couronnement.

– … Je fais le vœu devant mes sujets, devant Dieu, devant les ancêtres et devant les masina de servir dignement mon peuple, dans la justice et dans la justesse. D’être impartial, de ne servir que l’intérêt du royaume. Je jure de faire respecter la Constitution du royaume et de travailler de tout mon corps, mon cœur et de toute mon âme au développement de Madagascar. Les sujets, Dieu, les ancêtres et les masina m’en sont témoins ; que je tombe en disgrâce si je transgresse ce vœu, il y avait beaucoup d’émotions dans la voix de la princesse Razafindrahety, couronnée Rasoherina II.

– Votre majesté, vous voilà aujourd’hui couronnée Reine de Madagascar, régente des Comores et de Mayotte, duchesse des Iles Eparses, portez haut cette couronne, rayonnez dans toute l’Afrique. La bénédiction de vos sujets, de Dieu, des ancêtres et des masina vous accompagne dans cette lourde tâche. Soyez le phare qui guide le royaume, soyez la lumière qui irradie le continent, Ramboasalama, l’aîné des Zanadranavalona lui apposait religieusement la couronne, dans des cris indescriptibles de la foule, couverts par le vingt-et-unième coup de canon et l’envol majestueux des Mirage 2000 de l’armée de l’air malgache avec leur trainée blanc-vert-rouge.

– Vive la reine Rasoherina II, vive la reine Rasoherina II, la foule venue assister au couronnement acclama sa reine d’une seule et unique voix.

 

17

Deux semaines avant le couronnement.

La princesse Razafindrahety détestait quand le téléphone sonna à des heures tardives. Cela annonçait bien souvent une mauvaise nouvelle. C’était le cas pour la mort de son père, dix années auparavant. Elle était encore petite mais elle savait que quelque chose n’allait pas devant la mine grave de sa tante. Elle était à Nancy à l’époque, elle se souvenait de la moindre seconde de la scène. Puis, il y a un mois, presque à la même heure.

Un appel de la Polyclinique d’Ilafy avait fait tomber le couperet. Certes, maman, la reine, avait été admise aux urgences, mais rien ne prépare à ce que vous entendiez au bout de la ligne un docteur vous annoncer que votre reine, votre maman, est passée de vie à trépas. Et puis, une fois de plus, vers 23h30, Hagafotsy au bout de la ligne. Le fameux coup de fil annonciateur de la mauvaise nouvelle.

– Votre altesse, il est au regret de vous annoncer que…

– Non, fit Razafindrahety comme pour conjurer le mauvais sort.

– Je suis navré, le prince Kotondradama et la princesse Yoko ont été tués dans un accident de voiture, il y a une heure, dans la sortie du tunnel d’Analakely.

Razafindrahety laissa tomber son téléphone. Elle ne voulut plus entendre la suite de la conversation. Papa, maman et puis toi, maintenant. « Que vais-je devenir ? » Elle sera reine, c’est ce qui lui faisait le plus peur.

 

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            Jour de couronnement. L’après-midi.

L’immense festivité offerte à l’occasion du couronnement avait eu lieu dans le Colisée. « Quelle horreur », fit  Razafindrahety en son for intérieur, la reine Rasoherina II. Son reflexe d’étudiante en architecture était réapparu. Préemptée sur le kianja Andohalo, faisant face au Lycée Printsy Rakoto-Ratsimamanga (anciennement Gallieni), la bâtisse était un ersatz en taille réduite du colisée de Rome. Construit en bêton préfabriqué, le colisée d’Andohalo détonait dans ce beau quartier sur les hauteurs d’Antananarivo, au style victorien et français.

Dans un accès de folie, sûrement lié à sa longue maladie, la reine voulu édifier un monument à sa gloire, comme les pharaons qui édifiaient des pyramides à la leur. Initialement prévu être implanté au cœur même du Palais  de Manjakamiadana, le Colisée avait pu être bâti ailleurs. Mais il a fallu batailler ferme face à la reine. Koto avait vivement protesté auprès de sa reine. Il avait tenté vainement de la remmener à la raison. « La construction de ce Colisée va dénaturer la sacralité de notre beau palais », avait-il tenté d’argumenter. Mais rien n’y fit. La reine Ranavalona IV avait même procédé à l’appel à manifestation d’intérêt, remporté par l’entreprise Colas, jamais bien loin dès qu’il s’agit de gros sous, avec la bénédiction de Ralava, avait-on dit en coulisse. Tout le monde s’était résolu à voir Manjakamiadana être défiguré par un Colisée immonde.

C’était sans compter sur la discrète Razafindrahety. Elle se souvenait encore de cette après-midi. Le matin même, elle avait lu une tribune au vitriol signée par l’Ordre des Architectes malgaches dans le quotidien L’Express dénonçant l’ineptie d’une construction d’inspiration romaine dans un édifice d’inspiration anglo-française du XVIIIe siècle. L’étudiante en architecture qu’elle était sensible à cette tribune, excellemment soutenue.

L’après-midi, la reine devrait être en réunion avec les architectes du célèbre cabinet ANR (Andry, Narson et Remenabila, associés) pour parachever le plan. Avant que la réunion ne débute, la princesse déboula parmi les architectes et la reine qui se planchaient sur le plan du futur colisée. « Maman. Tu sais bien qu’on t’aime, jamais en public d’aucuns n’avaient osé tutoyer la reine. Mais je t’en prie, ce colisée va abimer notre beau Manjakamiadana. S’il te plait. Je te propose de le construire mais dans un autre endroit en hauteur d’Antananarivo, tout de même ». Tout le monde s’était tu. La reine ria de bon cœur et prit sa fille dans ses bras.

Rasoherina II était émue en repensant à cette journée et à la décision de bâtir le colisée sur l’ancien kianjan’Andohalo. En repensant à sa famille, son frère qu’il avait perdu quelques semaines plus tôt.

Elle était là, dans ce colisée sans saveur, parmi le peuple qui célébrait son couronnement de manière très joyeuse mais néanmoins respectueuse. La festivité était fade pour elle. Les Rak Roots, son chanteur malgache préféré, Arione Joy, Rossy et bien d’autres qui animaient la fête n’y firent rien. La tristesse la submergeait. Elle avait lâché une larme quand l’hymne national et le Sidikin’Andriana avaient résonné dans le colisée, accompagné par l’orchestre du gouvernement. Elle allait régner. Elle est la nouvelle reine de Madagascar.

 

19

Deux semaines avant le couronnement.

Il faisait étonnamment froid pour un mois d’octobre. L’alizée continuait à souffler et à apporter une colonne d’air froid recouvrant la plaine de Betsimitatatra.

Dans la voiture la menant sur le lieu du drame, la princesse Razafindrahety avait insisté auprès de son chauffeur – malgré sa vive protestation – pour qu’il mette en marche l’écran plat branché sur la chaine d’information en continu Tv Plus.

« Nous avons appris il y a quelques minutes le décès du prince Kotondradama et de sa fiancée la princesse Yoko, fit religieusement Abraham R. Le seul détail que nous ayons est qu’un accident serait survenu. Nos équipes sur place vous communiqueront la circonstance de l’accident et d’autres détails. » La princesse ne put retenir ses larmes.

Sur les réseaux sociaux, le hashtag #RIPRadamaIII avait rapidement atteint les sommets des « trends ». Malgré l’heure tardive, les messages de sympathie à la cour royale avaient fusé. Manjakamiadana avait perdu la reine deux mois plus tôt et puis le roi qui allait être couronné dans deux semaines. Un roi adulé par tous avant bien avant d’être couronné. La princesse Razafindrahety de pleurer pour lui et pour elle. « Je ne veux pas devenir reine », sanglota-t-elle.

La Tesla X n’était plus qu’un amas de ferrailles ensanglantées. Les pompiers de la ville avaient un mal fou pour désincarner les trois corps : le prince, la princesse et le chauffeur.

– Qu’est-ce qui s’est passé ? la princesse se rua en larmes sur Hagafotsy, dans la nuit tananarivienne.

– Je ne sais pas, princesse. Je ne sais pas, Hagafotsy murmurait avec détachement.

 

20

Deux semaines avant le couronnement.

La Tesla X filait en toute vitesse dans les larges artères de la capitale. Koto enlaçait Yoko sur la banquette arrière. Elle s’était endormie sur ses épaules terrassée par la fatigue. Malgré la grande pression qu’il senti sur ses épaules, Koto était confiant. Il avait trouvé parmi ses frères de vrais appuis. Il allait changer le Royaume de Madagascar. Il allait écrire une nouvelle page de l’histoire de la Grande île. Une nouvelle ère allait s’ouvrir. « Celle de Radama III », murmura-t-il en douceur à sa princesse.

Son téléphone sonna.

– Oui, pourquoi m’appelles-tu à cette heure ? Je suis éclaté.

La personne, un homme ou une femme ? à l’autre bout de la ligne était hors d’haleine, la communication grésillait.

– Ecoute, tu ne peux pas me rappeler demain matin ?

– C’est qui ? fit Yoko.

– Je ne sais pas, répondit Koto en raccrochant.

Le prince commença à perdre patience. D’autant plus que la Tesla allait s’engouffrer dans le tunnel d’Anosizato débouchant directement à Analakely en empruntant la grande artère Andriamanelo à près de 110 km/h. D’ailleurs, la Tesla X roulait un peu vite à son goût.

– Rainidina, roulez un peu moins vite s’il vous plait.

Aucune réponse. Une vitre séparait le chauffeur et les passagers. Peut-être qu’il n’avait pas entendu. « S’il vous plait, roulez moins vite, je vous l’ordonne », tonna Koto en abaissant la vitre de séparation. « Le chauffeur ? » Le cœur de Koto battait la chamade. Yoko était surprise aussi.

– Qu’est-ce que tu fais là ? Tu m’as fait peur. Où est Rainidina, pourquoi as-tu pris le volant ?

La personne au volant ne répondit pas. Ils s’étaient à présent engouffrés dans le long tunnel Rainandriamampandry, la vitesse avait atteint à présent 150 km/h. La Tesla X se mouvait sans bruit sous les lumières orangées du tunnel. Peu de véhicules circulaient à cette heure-ci.

– Qu’est-ce que si passe ? s’enquit Yoko.

– Bordel arrête s’il te plait, tu me fous la boule !

Toujours rien. Rainitelo Ralibera, l’un des Vingt-Quatre était au volant. Il ne dit rien. Ses yeux étaient injectés de sang.

– Rainitelo, arrête bordel de merde, Koto avait compris ce qui allait se passer. Yoko s’accrochait fermement à lui et sanglota.

180 km/h, 200 km/h, 220 km/h… Le tableau kilométrique s’emballait. Ils ne pouvaient pas s’extraire de la voiture à cette vitesse, ils trouveraient assurément la mort, s’il tentait quoi que ce soit. Koto n’avait pas accès au réseau de son mobile également.

– Mon frère, pourquoi tu me fais ça ? c’étaient les seuls mots qui étaient sortis de la bouche de Koto.

– Traitre, tu es un traitre à notre cause, à la cause de la couronne… fit Rainitelo en se concentrant sur le volant.

– Qu’est-ce que tu vas me faire, qu’est-ce que vous allez nous faire ? rectifia Koto.

– Tu le sauras…dans quelques minutes.

Le couple s’était résolu à se laisser faire. Une fois sorti du tunnel, il allait appeler de l’aide. Mais qui ? En qui faire confiance ? « Andriamanare avait raison », fit-il avec remords. Il était encore dans sa réflexion, la voiture avait déjà débouché sur l’avenue des Libérateurs, à Analakely. La Tesla X s’immobilisa. A peine Koto a-t-il eu le temps pour esquisser un geste que Rainitelo s’empara de son téléphone et celui de Yoko. « Que… », un homme encagoulé s’engouffrait dans la voiture et étrangla Koto avec une écharpe de soie rouge.

Koto s’étouffa lentement. Il ne put même pas appeler à l’aide. Même si la personne avait pris le soin de cacher son identité, le prince, dans un ultime sursaut, reconnut les yeux, le parfum, Sauvage de Dior, cette poignée de main ferme…

– Pas toi… p-pourquoi ? c’étaient les dernières paroles de Koto.

– Tu m’as trahi. Tu nous as trahis, fit son bourreau en l’achevant avec rage.

 

21

Deux semaines avant le couronnement. Le lendemain de l’accident. Chronique de Sylvain R. dans l’édition du jour du quotidien L’Express.

« Petit prince.

Nous avons perdu notre reine, maintenant le prince s’en est allé également.

Ainsi s’en est allé le petit prince. Sans jamais régner, il est considéré comme le roi le plus aimé par le peuple. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter les réseaux sociaux, ou mieux, s’enivrer des louanges laudateurs sur les médias ou constater les milliers de gerbes de fleur qui ont été déposés devant le portail du palais de Manjakamiadana.

Ainsi s’en est allé le petit prince Koto. Sans jamais régner, il a conquis le royaume le plus important de Madagascar : le cœur des quarante-cinq millions de Malgaches, fascinés par le futur roi qui est proche du peuple. Nous aurons toujours en tête cette scène incroyable où il pataugeait dans l’eau avec la princesse Yoko, que nous regretterons également. Si Manjakamiadana s’était ankylosé dans les habitudes dépassées, le prince avait dépoussiéré mœurs et prestance. Combien de fois l’avions-nous aperçu aux supermarchés Carrefour d’Ankorondrano ? Combien de fois faisait-il la lecture, de manière inopinée ou spontanée, dans les Fnac de Tanjombato aux enfants ? Combien de fois déjeunait-il en toute simplicité dans le MacDo d’Itaosy ? C’était Koto dans son ensemble. Il ne refusait jamais un autographe ou un selfie. Il était l’anti-Mahazoarivo, ces nobles qui se croient au-dessus de tout et qui sont terrés dans leur blindé, à l’abri de tout regard indiscret. Il était à contre-courant de ces politiciens véreux qui n’ont qu’un but : s’enrichir au détriment du peuple tout en chantant à tue-tête “Ry Tanindrazanay malala” dans les cérémonies officielles : une main sur le cœur, un autre dans la poche pour compter les liasses. Bien sûr, le prince était loin d’être un ange : il aimait les fêtes – comme nous, Malgaches avec les famadihana et le fandroana –, il aimait boire – ne dit-on pas que le Malgache est l’un des plus gros buveurs –, il aimait danser – qui ne se trémousse pas dès que les premières notes de Lelah Manambola de Big MJ sonnent ; il était comme vous et moi, profondément malgache, amoureux de sa Nation.

Ainsi s’en est allé le petit prince Radama III. Nous vous l’avons révélé en exclusivité il y a quelques semaines qu’il allait prendre le nom de Radama III, pour continuer l’œuvre inachevée de Radama II, le vrai réformateur de Madagascar, bien plus qu’Andrianampoinimerina ou, sa mère, la reine Ranavalona IV. Il allait changer beaucoup de choses. Il allait faire bouger les lignes. Ce que l’on peut espérer pour la reine Rasoherina II est qu’elle continue ses œuvres et qu’elle ose poursuivre l’entreprise courageuse du prince Radama III.

Ainsi s’en est allé le petit prince.

Que la Terre lui soit légère.

Sylvain R. »

 

FIN

 

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