Regard d’enfant

Adulte, on pense avoir beaucoup à apprendre aux enfants. Pourtant, c’est nous qui avons besoin de (ré) apprendre d’eux. Ils sont encore dans l’état le plus humain qui soit, sans les douleurs de ce monde, sans les horreurs de cette terre et sans la méchanceté des hommes. Au lieu de donner exemple, il est temps de commencer à prendre exemple.

Les adultes ont perdu patience depuis qu’ils ont cru comprendre la notion du temps. Ils sont effrayés des heures qui filent. Si les enfants craignent les aiguilles des médecins, les adultes ont peur des aiguilles d’une montre. Ils s’accrochent au passé déjà lointain pour penser pouvoir comprendre le présent. Ils oublient de vivre aujourd’hui, car trop occupés à préparer demain. Les enfants, eux, vivent l’instant, parce qu’il n’y en a jamais avant eu et y en aura jamais après. Ils sont dans la réalité pure où rien n’existe à part ce moment-là. C’est ainsi qu’ils écoutent leur cœur et suivent leur instinct. Ils ne savent pas l’heure qu’il est, mais s’endorment quand la fatigue les envahit. Parce que leur seule horloge, c’est leur corps. Parce que leur organisme est en synchronisation avec le temps. Combien d’entre-nous ont dû résister et veiller tard au point de souffrir d’insomnie car on n’a pas su donner à notre corps le repos qu’il mérite ?

Les adultes ont perdu espoir depuis qu’ils ont pris conscience des dangers de ce monde. Ils ne croient plus en un avenir meilleur, car ils sont hantés par les douleurs du passé. Ils ne voient en leur présent que l’annonce de leur fin proche. Ils n’espèrent plus rien et se laissent consumer par le feu du désespoir, au point d’agir comme des automates pour n’avoir à rien contrôler. Les enfants, eux, ne connaissent pas ce qu’est l’échec et font toujours tout avec le cœur. Ils ne savent pas ce qui va se passer et expérimentent pour voir ce qui arrive. Ils essaient, même quand ils n’y parviennent pas, ils insistent. Combien d’entre-nous ont baissé les bras et n’ont même pas tenté quelque chose de peur d’échouer ? Combien ont abandonné bien avant de commencer.

Les adultes compliquent tout depuis qu’ils ont cru maîtriser l’Univers et son fonctionnement. Ils vouent une obsession pour les difficultés et les épreuves, au point d’en créer pour se sentir plus forts. Ils ne se reconnaissent et ne s’estiment que par rapport aux défis relevés. Les enfants, eux, cherchent la compagnie et n’hésitent pas à s’appeler les uns les autres pour être ensemble. Ils trouvent du bonheur à jouer ensemble et rendent tout plus simple avec les efforts de chacun. Combien d’entre-nous ont préféré faire cavalier seul, soit par manque de confiance aux autres, soit pour s’attribuer le mérite d’une réussite ? Combien se sentent menacé en permanence par la concurrence, par la jalousie, et sont sur la défensive en permanence ?

Les adultes sont rancuniers depuis qu’ils ne s’accordent plus le droit à l’erreur. Ils se convoitent la perfection et se permettent ainsi de se juger les uns les autres. Pendant que certains refusent d’admettre leurs torts, d’autres n’acceptent plus les excuses. Ils se noient dans un océan de haine où les colères sont des vagues houleuses qui emportent des vies. Les enfants, eux, pardonnent facilement. Ils continuent de jouer avec un camarade, un instant après où celui-ci lui a causé du tort. Combien d’entre-nous ont mis un terme à une amitié parce qu’on a plus de raisons d’en vouloir que de pardonner ?

Les adultes ont peur d’être heureux depuis qu’ils se sont persuadé que le bonheur est éphémère. Ils ne cessent de se référer au passé et aux erreurs au point de refuser d’avancer. Ils sont convaincus que « c’est trop beau pour être vrai », et font tout pour trouver des traces de laideur, de tromperie et de mensonge. Ils pensent ainsi être à l’abri du malheur, sans prendre conscience que le plus grand danger auquel ils sont protégés c’est le bonheur. Les enfants, eux, s’émerveillent de chaque découverte. Ils ne cherchent pas à comprendre ni à savoir si c’est vrai ou faux. Ils se nourrissent de chaque étonnement. Combien d’entre-nous ont dû jouer les indifférents parce que certaines paroles sont si belles qu’on les croit forcément fausses ? Combien ne pensent plus mériter une attention particulière et craignent une contrepartie au point de refuser une aide ?

Adulte, on dira que tout cela est bien joli, mais la vie n’est pas ainsi. Toutefois, quand on veut trouver le monde plus doux, avoir une existence moins brutale et mener une vie plus heureuse, il suffit d’ouvrir ses yeux d’enfant… Le monde sera sûrement plus grand, mais plus beau aussi.

NA HASSI
Illustration : Sabella Rajaonarivelo