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- Entre les lignes -

Note de lecture

Tous ces silences entre nous, Thrity UMRIGAR, Éditions J’ai lu, 2005.

Parfois, tout ce que nous taisons nous tue, à petit feu. Nos silences sont les cendres de nos vérités brûlantes. Ils couvrent les braises de nos réalités cuisantes. En dessous, notre mutisme nous consume, laissant fondre notre dignité et notre humanité comme une bougie qui se laisse dévorer par sa propre flamme. « Bhima ne savait pas que la haine pouvait avoir cet effet corrosif. Que c’était une chose aussi inconfortable, constante et gênante qu’un caillou dans une chaussure ou un vêtement trop étroit. » (p.330)

Respect, peur, honte, loyauté, espoir… nos sentiments et nos valeurs réduisent notre parole en poudre. Les mots poudreux menaçants risquent pourtant d’exploser à tout moment. Quand nos lèvres sont enfin décousues, les flots d’aveux déchirent notre langue humaine et laissent gicler le venin des vipères. Le voile ôté nous laisse finalement sans voix… Se précipite alors le questionnement fondamental : Tous ces silences entre nous vont-ils consolider nos amours-propres fracturés ? Ou vont-ils effilocher ces liens que nos mains fragiles et hésitantes ont réussi à tisser ? « Mais, trop fière pour se confier à une domestique, elle s’était contentée de murmurer : « Tout va bien…. » (p.99)

Entre les mots violents et les cris étouffés, il n’y a pas de moindre mal à espérer. Entre les coups de poing et les regards blessants, il n’y a aucun baume pour atténuer les impacts. Entre les promesses rompues et les remords qui piègent les pensées comme des insectes sur une toile d’araignée, il n’y a pas de bras suffisamment longs pour les libérer. Il est des douleurs et des hématomes que ni les billets ni la fortune ne parviennent à recouvrir. Il est des souvenirs tranchants que le temps ne réussit pas à estomper les contours. Il est des pertes irrévocables qu’aucun rachat de conscience ne peut compenser. « Si tu racontes ce qui s’est passé à qui que ce soit, qui penses-tu qu’on croira ? Toi ou moi ? Pour commencer, je nierai tout. » (p.328)

Nous sommes ce que notre société a fait de nous. Nous sommes des graines qui germent sous notre sol de naissance. Des torrents de larmes et de trahisons déterrent nos racines comme une érosion déracine les plantes. Les promesses et les désillusions en compost finissent parfois par acidifier nos terres d’ancrage, nous rendant amers et stériles. Au final, quel que soit notre destin et les terres arables dans lesquelles nous sommes déposés, nous sommes tous pareils. Au fond, qu’est-ce qui nous maintient debout ? Nos doigts qui s’agrippent à nos espoirs fragiles ou notre peau qui est devenue rugueuse à force de se frotter aux secrets honteux et aux souffrances ? « Tout est pourri à Bombay. L’air est pourri. Les hommes politiques sont pourris, les transports publics sont pourris. Pourquoi quelques unes de mes pommes de terre ne seraient-elles pas pourries, elles aussi ? » (p.121)

Est-ce la société qui nous vole notre liberté ou c’est nous qui bâtissons nos prisons avec les pierres qu’on nous jette ? Pensant nous protéger des autres en nous réfugiant dans notre mutisme, nous laissons les hyènes rire à notre place. Au final, nous ne sommes pas totalement à l’abri, puisque les cris nous parviennent de l’autre côté du mur. « Elle ne se doute pas de la cruauté – digne d’une bande vautours – avec laquelle la société fondrait sur elle pour la déchiqueter. » (p.141).

Et nous trouvons des excuses, des prétextes et des arguments pour justifier notre silence, puisque nos histoires ne sont pas finalement exceptionnelles. Que c’est l’histoire de tout le monde. Dans nos mutismes respectifs, nous instaurons un mode de vie, celui qui autorise tous les coups, à un tel point que notre être s’y adapte. « Elle devrait probablement se féliciter d’avoir une peau qui cicatrisait vite, si bien qu’elle n’avait pas à endurer l’humiliation des femmes qui portaient sur elles les marques de la brutalité de leur mari, comme une vitrine que tout le monde est autorisé à contempler. » (p.127)

NA HASSI
Illustration : Andou BaliAka