Cultures, Traditions & ModernitéEthnologie

Vox populi, La question de la mémoire orale

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Par INDIGO

En 1989, lors de sa vingt-cinquième Conférence générale, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) prend acte des dispositions relatives concernant les recommandations sur la sauvegarde des cultures traditionnelles et populaires. En effet, cette institution spécialisée des Nations Unies tire depuis la sonnette d’alarme sur la déperdition progressive des trésors humains vivants et la diversité de l’humanité. Elle a pour objectif, selon son acte constitutif, de « contribuer au maintien de la paix et de la sécurité en resserrant, par l’éducation, la science et la culture, la collaboration entre nations, afin d’assurer le respect universel de la justice, de la loi, des droits de l’Homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, que la Charte des Nations unies reconnaît à tous les peuples ».

À l’heure de la chute du mur de Berlin et la montée de la mondialisation de la fin de l’année 1990 s’ouvre en effet un vent de plus en plus pesant de l’uniformisation à l’occidentale des manières de vivre. Il semblerait, avec un recul de presque trente années que cette déperdition de l’identité culturelle et cultuelle dans le monde ait été prévisualisée. Des règlements relatifs à la proclamation par l’UNESCO des chefs-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité ont ainsi vu le jour.

Que ce soit par les chants, les danses, les manières, les pensées, l’art en tout genre, les humains s’expriment et expriment la profondeur de leurs âmes, de leurs êtres, des relations qu’ils entretiennent entre eux, avec la nature, ou encore avec les sphères spirituelles de multiples manières. Un geste, un dessin, une voix, une chanson, et une couleur peuvent avoir des significations, des valeurs, des sagesses perpétuées depuis des générations.

Toujours suivant les termes de l’agence onusienne, « patrimoine oral et immatériel » est défini comme l’ensemble des créations émanant d’une communauté culturelle fondée sur la tradition, exprimées par un groupe ou par des individus et reconnues comme répondant aux attentes de la communauté en tant qu’expressions de l’identité culturelle et sociale de celle-ci, les normes et les valeurs se transmettant oralement, par imitation ou d’autres façons. Ses formes comprennent, entre autres, la langue, la littérature, la musique, la danse, les jeux, la mythologie, les rites, les coutumes et le savoir-faire de l’artisanat, l’architecture et d’autres arts.

L’identification, la protection ainsi que la valorisation de ces richesses humaines ne peuvent se faire sans la mobilisation des gouvernements, des organisations locales, des groupes concernés. En effet, ces derniers sont considérés comme les « dépositaires de la mémoire collective des peuples ». Aussi, tout le grand travail de pérennisation des spécificités culturelles ne peut se faire sans la réelle adhésion de tous ces acteurs.

Vox populi, Madagascar

Madagascar, une île, le temps semble s’être arrêté disent certains. De souche austronésienne et africaine, le peuple malgache a un fort ancrage dans l’oralité 3 . De génération en génération, les savoirs et les cultures se sont transmis par le verbe. Les enseignements sociaux ont été incrustés dans des formes de moralités orales qui ont permis depuis des siècles de toucher toutes les couches sociales. On peut ainsi parler de plusieurs types d’enseignement et communication orale par l’art. Le « Kabary » une sorte de discours en public des Merinas 4 alimentés par des adages ancestraux, des épilogues de comparaisons, paraboles et métaphores élèvent les âmes et ramènent l’humain à la nature et aux relations sociales.

Les richesses traditionnelles par l’oralité ont été multiples. À chaque sphère de la société, dans un même groupe social, elles peuvent être diversifiées. En effet, en Imerina par exemple, dans les sphères bourgeoises on s’adonnait aux chants typiques mais dans le « peuple » on s’adonnait au « sôva », plus rythmé, plus chaud. Dans les autres parties de Madagascar, l’utilisation de l’oralité comme communication sociale et déposition des sagesses collectives sont nombreuses. Comme le Beko dans la partie sud de l’île, le Antsa au Nord et Nord-ouest. Les enseignements ancestraux ont été aussi véhiculés dans les contes et les légendes pour les enfants. Comme dans de multiples sociétés dans le monde, les Malgaches ont donné un rôle particulier aux personnes âgées, notamment aux grands-parents dans l’enseignement des enfants par le biais de l’oralité. Au sein des familles d’antan, les grands-pères regroupaient les petits-enfants sur une natte pour raconter des contes aux mille-et-une paraboles. Au sein d’un hameau, le vieux regroupait en fin de journée, sous un arbre, les enfants pour la même fonction d’enseignement par l’oralité. Également, dans les réunions du village, les sages modéraient les discussions et les décisions par des adages. […]