Retour au Pays - Marie-Charlotte HAHN

Retour au pays - la fille

La route est longue, cela nous permet de réfléchir.

Proverbe malgache

 

Ce récit fait suite au texte “Retour au pays”, écrit par Annick de Comarmond, ma mère, et publié sur le site d’Indigo le 14 septembre 2020.

 

“Et si l’histoire n’avait pas d’imagination ? Vingt ans plus tôt, vingt ans plus tard, […] qu’est-ce qui aurait pu changer pour qu’Edith ne connaisse pas les mêmes peurs, les mêmes gares, les mêmes échecs que sa mère ? […] Pourquoi la suite c’est comme le début ? Pourquoi le début c’est comme la fin ? Pourquoi on a la même tête que sa mère ? Pourquoi le destin se maquille toujours de la même façon ?”

 

Ce passage, égrené par la douce voix de Francis Huster dans le film Les Uns et les Autres de Claude Lelouch, est sans aucun doute notre citation préférée avec ma mère. Ce film, qui retrace des histoires de vies confrontées aux grands conflits du vingtième siècle, est dramatique – et bien entendu loin de moi l’idée de vouloir comparer ces existences dépouillées, arrachées, ravagées, aux nôtres.

 

Mais il me semble, quand je regarde autour de moi, qu’hors de tout contexte ce passage s’applique à beaucoup de familles. Si chacune a sa vie, sa personnalité, ses goûts, ses envies, ses aspirations et ses choix propres, qu’on le veuille ou non, de mère en fille certaines choses se perpétuent.

 

C’est ainsi qu’après m’être moquée durant plus de vingt ans des folies constructrices et démolissoires de ma mère, je me suis surprise à acheter ma première perceuse avec une excitation teintée d’émotion. Doucement mais sûrement, j’ai pris goût aux perforages en tous genres, transformant mon appartement en passoire au grand désespoir de mes voisins.

 

C’est également ainsi qu’après avoir honni son habitude de toujours arriver avec quatre heures d’avance aux aéroports, j’ai fini par lui succéder, inévitablement. Passant et repassant devant les baies vitrées du terminal 2E de l’aéroport Charles-de-Gaulle, je regardais mon reflet dans ces grands panneaux, bien entendu chargée comme un mulet – “Y en a marre de toutes ces valoches, je te jure que quand je voyagerai seule j’aurai une valise, un sac à main et basta”… Tu parles, cette résolution n’a duré qu’un an tout au plus avant que le naturel ne revienne au galop.

 

Mais il n’y a pas que les traits de caractère, les habitudes et les choix qui reviennent comme des boomerangs aux héritiers qui s’en pensaient délestés. Il y a aussi une forme indicible de destin, comme si tout était déjà écrit, comme si certaines choses par lesquelles nos parents étaient passées nous devions forcément les vivre aussi.

 

Pour ma part, ce destin, c’est celui du périple extraordinaire… Ou plutôt, de la schkoumoune organisée. Quel que soit le trajet prévu, nous avons 90% de chances pour que cela se transforme en épopée romanesque constellée d’imprévus.

 

Partir en vacances un mois ? Arrivés à destination, nous sommes avertis que notre visa pour retourner dans notre lieu de résidence n’a pas été reconduit. Prendre un train pour la Normandie ? Alerte à la bombe en plein milieu du trajet, évacuation du train puis de la gare en plein hiver sous une pluie battante. Partir pour quinze jours ? Rester bloqué six mois.

 

Mais alors, s’agit-il uniquement de destinée (inutile de fuir ou de lutter, comme le dirait ce cher Guy Marchand), ou ces situations relèveraient-elles de choix somme toute très peu stratégiques, voire d’un instinct de survie atrophié ?

 

Je dirais que c’est un mélange entre situations inextricables et décision assumée de se foutre dedans jusqu’au cou, tant qu’à y être.

 

C’est ainsi que, toute consciente que j’étais des difficultés que ma mère avait rencontrées lors de son vol de rapatriement du mois d’août 2020, j’ai tout de même atterri dans ce vol de rapatriement Air Madagascar du (prétendument) 2 avril 2021, presque surprise moi-même de m’y trouver. L’existence de ce vol en tant que telle était déjà purement hypothétique.

 

Disant au revoir à l’être aimé, que je n’allais pas retrouver avant au moins un mois et demi, j’avais comme l’impression d’être dans une réalité parallèle. Je n’y croyais pas vraiment, et lui non plus d’ailleurs : “J’ai tellement pas l’impression que tu vas partir, là !”.

 

Et pour cause… Non seulement avoir réussi à obtenir une place sur ce vol relevait du miracle, mais en plus de cela j’avais reçu deux heures avant un SMS de mauvais augure : “En raison de formalités complémentaires requises pour la sécurité sanitaire du vol […] votre vol Paris-Antananarivo de ce 2 avril connaîtra un retard. Le nouvel horaire vous sera communiqué au plus tôt. Nous vous remercions pour votre compréhension”.

Et ça, pour comprendre, je comprends. Je ne comprends même que trop bien. Connaissant la compagnie, je me questionne : dois-je tout de même partir de chez moi à 13 heures comme cela était initialement prévu, pour arriver tôt à l’enregistrement ?

 

Mes parents me conseillent d’attendre chez moi. Méfiante, je leur demande tout de même d’essayer de joindre Air Madagascar sur place, tandis que je tente de joindre l’antenne française. J’y parviens avant eux, et tombe sur une charmante conseillère :

 

– Bonjour, j’appelle au sujet du vol de ce soir. Je sais que vous n’avez pas encore d’heure, mais pourriez-vous me donner une approximation du retard ? Il se compte en heures, en jours… En semaines ?

 

Éclats de rire à l’autre bout du fil. Si je ne les connaissais pas si bien, je serais soulagée.

 

– Mais non Madame, bien sûr que votre vol part aujourd’hui ! Il y aura maximum une heure ou deux de retard. Je crois qu’il s’agit uniquement d’une désinfection supplémentaire de l’appareil.

– Ah, très bien ! Mais du coup, qu’est-ce que je fais ? J’attends chez moi d’avoir des informations supplémentaires ? Je vais quand même à l’aéroport ?

– Oh, vous pouvez y aller… Mais ne vous pressez pas. Si vous arrivez vers 16h, vous êtes large.

 

Flairant le mauvais coup qui arrivait, je n’en crois pas un mot et décide de me rendre à l’aéroport pour 15h, l’heure requise initialement. Probablement l’une de mes décisions les plus avisées, puisqu’à mon arrivée à l’aéroport la file d’attente pour l’enregistrement Air Madagascar encombre déjà une bonne partie du terminal.

 

Comme toujours dans ces moments-là, la rumeur peu à peu se répand et fait son œuvre. Vol reporté, vol annulé ? Panne de l’appareil, surbooking ou simple désinfection ? Au final, il semblerait “tout simplement” que certains membres de l’équipage soient positifs au Covid-19 et qu’il faille donc reformer l’équipage.

 

Quoi qu’il en soit, après une heure de queue, nous sommes fixés : non, notre avion ne partira pas aujourd’hui. Cette queue mène à l’enregistrement et au dépôt des bagages. Ensuite il faudra faire une nouvelle queue pour récupérer le bon pour une nuit à l’hôtel. Ne me demandez pas pourquoi tout n’est pas distribué en une seule fois…

 

Et l’heure de départ ? “A priori 7 heures, il faudra être ici à 5 heures. Mais l’hôtel vous reconfirmera tout ça !”

 

Départ, donc, pour l’Ibis Gare. Ici encore, une file d’attente. Massés les uns sur les autres, je me dis que l’impératif de distanciation sociale s’efface tout de même bien facilement face à la peur de dormir et à la belle étoile et l’exaspération d’avoir passé quatre heures à faire la queue chargé comme un mulet.

 

Le personnel de l’hôtel s’évertue à afficher un professionnalisme impassible. Mais face à cette file de deux cents personnes, entre deux clients, on peut apercevoir çà et là une petite ride de souci qui se creuse, des mâchoires qui se crispent, des regards qui se fixent.

 

Malgré mes craintes, l’hôtel est tout à fait confortable et correct. Nous avons, comble du luxe, droit à un repas sur place.

 

– Pas de petit déjeuner, non, puisque vous devrez être partis à 4h30 dernier délai !

– Vous nous préviendrez, hein, si vous avez des nouvelles ?

– Pour l’instant Air Madagascar est injoignable. Dès que nous serons parvenus à les joindre, nous vous appellerons dans vos chambres si le vol est avancé ou nous mettrons un paperboard dans le hall s’il est retardé !

 

Pas sereine pour un sou, je monte m’installer dans mes quartiers. Il est 19 heures. J’aurais donc passé presque quatre heures dans des files d’attente. Après avoir pris une rapide douche, je redescends pour confier un traitement à conserver au frais à la réception.

 

Je me risque à demander s’ils sont parvenus à récolter des informations supplémentaires. “Nous n’arrivons toujours pas à les joindre.” Je n’ose pas leur dire que ça n’est pas étonnant : chez Air Madagascar, c’est toujours la stratégie de la fuite qui prime. Vol retardé, annulé ? Ne vous inquiétez pas, le service client se carapate !

 

Alors que je m’apprête à repartir dans ma chambre, une autre réceptionniste s’exclame : “Ah ça y est ! Il décolle à 10 heures, départ d’ici à 7h30 maximum.”

 

Aubaine : je me dis que je vais pouvoir faire une vraie nuit. Je n’étais pas au bout de mes peines, puisque redescendant un peu plus tard dans le hall, je serais témoin de l’installation d’un paperboard rectificatif : 11 heures, finalement.

 

3 avril

 

Réveil après une nuit d’incertitude : et si l’avion partait plus tôt ? Ça ne serait pas si improbable, plus absurde était déjà arrivé.

 

En regardant l’heure sur mon portable, je constate qu’Air Madagascar nous a envoyé un SMS à 06h51 pour nous informer que le vol partait à 11h, avec un enregistrement quatre heures avant… Soit à 7 heures. Pratique pour ceux qui étaient sagement restés chez eux à attendre une nouvelle heure de départ : 9 minutes pour un Paris-Roissy, ça se fait, non ?

 

Toujours un peu sceptique, je descends à la réception pour récupérer mon petit déjeuner : la version de l’hôtel concorde, pas de changement de plan cette fois-ci, l’avion est effectivement programmé à 11 heures du matin.

 

Une fois mon petit déjeuner avalé en vitesse, je prends le CDGVal et me rends de nouveau au Terminal 2E. Passage sous douane, détour par le duty-free moitié ouvert, moitié fermé (le saviez-vous, les cosmétiques transmettent plus le Covid-19 que les confiseries et les spiritueux ?).

 

Une fois arrivée à la porte d’embarquement, je m’installe et entreprends de continuer la lecture de mon roman avant l’embarquement. Lecture néanmoins perturbée par une conversation se déroulant à quelques sièges du mien :

 

– Je suis allé voir l’hôtesse à la porte et elle me dit qu’elle ne voit aucun vol pour Madagascar programmé. Il y en aurait un à 22 heures, mais pas à 11 heures…

 

Ulcérée, je m’apprête à aller voir de quoi il retourne au moment où passe devant nous l’équipage Air Madagascar. Tout le monde est rasséréné : si cela s’annonce bien, personne ne le sait, mais quoi qu’il en soit cela s’annonce.

 

Après une énième queue de plus d’une demi-heure, nous finissons par être parqués dans des navettes à destination de notre avion. De longues minutes d’attente, entassés les uns sur les autres “dans le plus grand respect des gestes barrière et des mesures de distanciation sociale”.

 

Et là, sur ces quelques centaines de mètres que nous parcourons en navette, c’est le suspense : s’agira-t-il du dernier avion Air Madagascar en état de marche ou d’un avion affrété d’une autre compagnie ?

 

Les langues se délient, chacun y va de sa petite anecdote. “J’ai une amie qui travaille à Air Mad’ et qui m’a dit que leur dernier avion était totalement pourri et immobilisé à Tana”, “Mais non, aux dernières nouvelles il était en maintenance à Paris”, “Moi la dernière fois ils m’ont mis dans un avion low-cost absolument pas fait pour des longs courriers avec un équipage qui ne parlait qu’Espagnol, je n’ai jamais pris un avion aussi inconfortable”, “J’ai un ami qui était sur l’un de leurs vols en mars et l’avion a dû faire demi-tour juste après le décollage, la frayeur qu’ils ont eue”…

 

Arrivés au pied de l’appareil, le verdict tombe : arborant fièrement son logo, un ravenale stylisé inspirant le dépaysement et le confort, c’est l’avion Air Madagascar qui s’élève devant nous. Rires nerveux dans l’assemblée. Je jurerais entendre certains appeler leur notaire.

 

Et là, c’est l’attente encore, debout dans le car. De quoi ? Nul ne le sait, et ne le saura jamais… Je repense au fait que durant notre attente de l’embarquement, toutes les portes de l’aérogare qui pouvaient être ouvertes l’avaient été, afin de maintenir la circulation de l’air – et ce malgré un froid mordant. Tout ça pour nous laisser plus d’une demi-heure agglutinés dans des cars hermétiquement fermés.

 

Je me résigne… Mais pas pour longtemps !

 

Il faut savoir que lors de la vente des places, Air Madagascar avait précisé qu’il s’agissait d’un vol respectant strictement les mesures sanitaires, et qu’ainsi nous ne serions que cinquante passagers.

 

Depuis le début de notre épopée, nous nous étions bien rendu compte que nous en étions loin. Je me dis néanmoins que demander des explications, avec un vol plein et plus de quinze heures de retard, n’était pas outrancier.

 

– Mais… On m’avait dit qu’il y aurait au moins une place de libre entre chaque passager ?

– Ah non Madame ! C’est un vol sans distanciation sociale.

 

Plus que le fait en lui-même, que nous avions eu plusieurs heures pour encaisser, ce qui me frappe alors est le ton. Dans sa réponse, il y a de la résignation : c’est comme ça, pas autrement, et pas la peine de râler, tant pis pour le baratin qu’on vous a servi au départ. Il y a aussi une forme de désolidarisation : les décisions de la compagnie, ça n’est pas mon problème. Never complain, never explain !

 

J’en suis consciente, cette hôtesse n’a rien à voir, ni de près ni de loin avec le fait qu’Air Madagascar ait menti sur toute la ligne. Mais le pouvoir extraordinaire de cette compagnie réside dans sa capacité à faire disparaître tout responsable dès qu’un problème se pose (et malheureusement, chez Air Mad, les problèmes se posent plus souvent que les avions…).

 

J’ai la chance d’être assise à l’arrière de l’appareil : ainsi, comme quelques places restent en queue d’appareil, je demande à m’y installer et parviens donc à avoir deux places pour moi pour ce trajet. Je serai l’une des rares chanceuses à avoir ce privilège !

 

Il est plus de onze heures. Il est maintenant certain que nous ne partirons pas à l’heure (retardée) prévue, mais quand alors ? Les minutes passent, une annonce retentit depuis le cockpit : “Ici le commandant de bord, incroyable mais vrai : nous devrions décoller d’ici une quinzaine de minutes ! Nous vous remercions de votre patience et vous souhaitons un bon vol.”

 

Puis, quarante-cinq minutes plus tard : “Nous vous prions de nous excuser pour ce retard. Notre avion devrait bientôt décoller. Notre arrivée est prévue à 1 heure du matin, heure locale. Un repas vous sera servi après le décollage, et un petit-déjeuner avant l’atterrissage. Veuillez noter que nous ne pourrons pas vous proposer de films pour ce vol. Si nous pouvons faire quoi que ce soit pour vous rendre le voyage plus agréable, n’hésitez pas !”

 

Non, là, mis à part décoller, je ne vois pas…

 

Dans ce que j’entends, quelque chose me chiffonne cependant : comment ça, un petit déjeuner à minuit ? Et le dîner ? A peu près certaine de la réponse que je vais recevoir, je m’enquiers tout de même de cette question auprès d’une hôtesse :

 

– Ah mais non ! Nous arrivons à une heure du matin. Vous aurez donc le droit à un petit-déjeuner.

 

Une petite voix dans ma tête, qui ne se surprend plus de rien, me suggère que si nous poireautons depuis une heure sur le tarmac, c’est peut-être pour justifier le service d’un unique petit-déjeuner… Oui, puisque nous arrivons à une heure du matin ! Comment pourrait-il en être autrement.

 

– Mais… Pourquoi ne nous avez-vous pas prévenus ? Nous aurions pu prendre nos dispositions à l’aéroport et acheter de quoi dîner…

 

Pour éviter le soulèvement populaire.

 

– Ah mais Madame, vous deviez partir hier soir ! Les repas prévus étaient donc un dîner et un petit déjeuner.

– Et donc, entre hier 15 heures et aujourd’hui midi, personne n’a pensé à intervertir les repas ?

– Ah non, personne ne l’a fait non.

 

Un bref instant, je pense à lui rétorquer que je ne vois toujours pas ce qui les empêchait de nous prévenir, puis je me souviens que pas un seul d’entre nous n’a eu de SMS ou de mail pour lui indiquer le nouvel horaire du vol, une fois passé le premier message nous disant que l’avion était reporté à une heure indéterminée. J’abandonne, donc.

 

13 heures, nous décollons.

 

Le vol

 

Une fois le déjeuner passé, on nous demande de fermer tous les hublots. Tout se passe en réalité comme si la compagnie tentait purement et simplement de transposer le vol de nuit en vol de jour, comme si cela allait nous permettre de mieux dormir…

 

Pendant un temps, les lumières restent allumées. Puis tout s’éteint. Et là, angoisse : les liseuses ne s’allument pas. J’appelle le steward et lui expose mon problème. Il me dit qu’il va se renseigner et évidemment, ne revient jamais. Aucun film n’étant disponible sur ces écrans datant probablement des années 90, la situation devient problématique.

 

Je finis par entamer mon troisième livre du voyage en entrouvrant mon hublot, bien décidée à en découdre si quiconque ose me faire la moindre remarque à ce sujet. Les écrans sur les dossiers s’allument et s’éteignent à intervalles irréguliers, affichant tantôt un menu, tantôt une carte du vol, tantôt un message d’erreur.

 

Lorsque la nuit tombe, je réessaie d’allumer les liseuses. Rien à faire. Je lis péniblement grâce au filet de lumière qui provient de la plateforme arrière de l’appareil. A partir de là commence un affreux manège : l’un des hauts-parleurs commence à “biper”, comme lorsqu’un passager appelle le personnel naviguant. Parfois deux, parfois cinq, parfois dix fois d’affilée. Assez régulièrement pour que cela soit insupportable, assez irrégulièrement pour rendre fou.

 

Je rappelle donc le steward qui va, encore une fois, voir ce qu’il peut faire (par je ne sais quel miracle, cette fois-ci, il vient à bout du problème). J’en profite pour lui soumettre de nouveau le problème de la lumière, mes yeux commençant à danser. C’est alors que, triomphant sous mes yeux ébahis, il parvient à allumer ma liseuse : le programme avait été réinitialisé quelques minutes auparavant !

 

Nous finissons par arriver, épuisés, affamés, fourbus… Mais parvenus à destination, nous jubilons ! En sortant de la carlingue, c’est l’odeur de la maison qui me prend à la gorge, cette chaleur humide et cette odeur de végétation. Un PCR, les formalités, les bagages et c’est direction la quarantaine. Je suis rassurée : lors de mon dernier vol, le PCR était très bien organisé, les files avançaient vite, cela ne m’avait pris qu’une demi-heure.

 

Espoir vain : cette fois-ci, c’est l’anarchie. Un semblant d’organisation finit par se mettre en place ; plus d’une heure se passe avant que nous parvenions à faire notre test. Heure pendant laquelle nous apprenons que durant notre vol, l’état d’urgence sanitaire avait été décrété à Madagascar, avec entre autres mesures l’instauration d’un couvre-feu de 21 heures à 4 heures du matin pour les quinze prochains jours…

 

Immense avantage de passer au compte-goutte : il n’y a aucune queue au comptoir de l’immigration ! Personne n’a jamais vu cet endroit si vide, chacun passe le contrôle en quelques minutes.

 

Nous nous retrouvons alors dans la salle des bagages. Une mer de valises attendant sagement leur propriétaire. Certains tournent encore sur le tapis, mais la plupart sont au sol. Il faut donc enjamber chaque valise, chaque sac, et tracter ses bagages (enfin retrouvés) jusqu’à la sortie.

 

Le chauffeur de la navette de l’hôtel me récupère. Quand j’arrive au véhicule, deux personnes patientent déjà, visiblement depuis longtemps. Nous n’attendons plus que deux derniers voyageurs.

 

Au bout d’une heure, ils finissent par nous rejoindre. Nous nous demandons ce qui leur est arrivé : évanouissement face au PCR, problème de visa, bagages perdus ? C’est la dernière option qui l’emporte. Lorsque l’on avait annoncé à ces passagers en transit depuis les Etats-Unis que le vol vers Madagascar était reporté au lendemain, ils s’étaient inquiétés de leurs bagages, mais on leur avait alors dit “Ne vous inquiétez pas, on s’occupe de tout” ! Tsy maninona…

 

En les attendant, j’apprends alors quel sort avait été réservé, plus généralement, aux personnes en transit. Arrivés à la porte, on leur avait expliqué que le vol était reporté au lendemain, puis tendu un bon pour s’acheter à manger dans une boutique de l’aéroport. Ils avaient attendu, les bras ballants, le bon suivant “pour l’hôtel”. Il n’était jamais arrivé : ils n’avaient pas le droit de sortir de la zone internationale et le seul hôtel situé à l’intérieur du terminal était plein.

 

Ayant pour la plupart déjà un vol de plus de sept heures dans les pattes, ils avaient donc dû dormir dans l’aérogare glacée, certains ayant laissé leur manteau en soute… Pour la première fois de ce voyage, je me suis alors sentie profondément reconnaissante de mon sort !

 

4h du matin, après avoir roulé à tombeau ouvert sur les pavés tananariviens et déposé les autres rescapés à leur hôtel, on me dépose enfin au mien. Le réceptionniste, se doutant de mon état de fatigue, s’empresse de m’accompagner à ma chambre et de me laisser me reposer.

 

Dès que la porte se referme derrière lui, je me jette sur le lit. Je suis arrivée, arrivée, arrivée…

 

Déborah de Comarmond