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La Fleur de l'Amitié

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Par M. Jo

Albert Ramassamy, ce 3 novembre 2018, a quitté la planète Terre pour rejoindre le Panthéon des grands hommes de la Réunion. Indigo a le plaisir de vous donner à lire de larges extraits d’un texte de Guy Pignolet.

HOMMAGE

à

Albert RAMASSAMY

Florebo Quocumque Ferar

 

Albert Ramassamy, calé dans son fauteuil derrière son bureau de Proviseur, me regardait poliment en m’écoutant, mais visiblement il attendait que j’en aie fini avec ce qui pouvait passer pour les salades d’un Professeur Tournesol quand je lui disais que son lycée pouvait participer avec Jean-Loup Chrétien à la première mission spatiale d’un cosmonaute français. Quand j’en ai eu fini, il m’a simplement dit merci, il m’a serré la main, il m’a dit au revoir et c’est tout. Clairement il ne voyait dans ce que je venais de lui présenter, résumé dans une petite note que je lui ai laissée en partant, qu’une sorte de délire un peu fou.

 

Pourtant, quelques heures plus tard, dans la soirée mon téléphone a sonné. Au bout du fil il y avait Albert Ramassamy, avec une voix enthousiaste, presque excitée, qui me disait «  ce que vous m’avez proposé ce matin, j’y ai repensé, j’ai lu le papier, j’en ai parlé avec quelques professeurs, mais c’est formidable ! » Nous étions à la rentrée de février 1982, et une grande aventure commençait, qui devait durer jusqu’au mois de juin suivant.

 

Cette première rencontre avec Albert Ramassamy fut un moment fort, décisif, dans une longue histoire, qui est celle de nos vies personnelles, mais aussi celle de l’évolution de La Réunion et de son peuple, une aventure grandiose que chacun contribue à tisser et à laquelle Albert Ramassamy, qui vient de nous quitter, a passionnément participé.

 

(…) Tout a commencé au Centre Spatial de Toulouse, en janvier 1982, un jour, à midi, je me trouvais dans la foule qui gravissait lentement les marches du grand escalier de la cafétéria du CNES, aux côtés d’un camarade polytechnicien responsable du projet « PVH », Premier Vol Habité, chargé de la préparation du vol de Jean-Loup Chrétien prévu pour le mois de juin à bord de la station spatiale soviétique Saliout-7.

 

Le Chef du Projet PVH me dit : « il nous manque quelque chose, une petite manip de cadeau symbolique que Jean-Loup Chrétien pourrait offrir à ses collègues soviétiques en arrivant dans la station. Aurais-tu une idée ? ». Il fallait quelque chose de simple, de léger, et si il pouvait y avoir un petit côté scientifique, ce n’en était que mieux. Rapidement, des images tournent dans ma tête : la vieille amitié franco-russe des poètes et des philosophes, l’escadrille Normandie-Niemen et la Nathalie de Gilbert Bécaud quand la Place Rouge était blanche… En même temps que je pense à offrir une petite fleur, il me souvient que quelques mois auparavant, j’avais visité les Pépinières de la Mare avec un groupe d’ingénieurs, et le directeur, à notre grand étonnement, nous avait présenté un laboratoire où une chercheuse, Docteur en Biologie, travaillait au clonage des anthuriums, une technologie de pointe qui permet, lorsqu’on a un bel anthurium exceptionnellement décoratif, de le reproduire à des milliers d’exemplaires identiques. TILT !

 

Tout en continuant de monter l’escalier de la cafétéria, je dis à mon camarade Chef de Projet : « à La Réunion, nous avons des expériences de clonage d’anthurium, une très belle fleur, dans des conditions bien contrôlées. Jean-Loup Chrétien pourrait offrir à ses collègues russes des jeunes pousses d’anthuriums clonés. A leur retour sur Terre, les cosmonautes soviétiques remettraient les plants à un laboratoire russe, qui pourrait continuer à en assurer le développement et l’observation. Les anthuriums ayant connu l’impesanteur pendant plusieurs semaines pourraient être comparés à des échantillons-témoins d’un lot à l’origine identique mais qui seraient restés sur Terre ? ». Bonne idée dit le Chef de Projet. «  Ok, alors on y va… ».

 

Depuis le Centre Spatial de Toulouse où j’ai mon bureau, loin de ma case de Sainte-Rose, au téléphone et par fax, je commence à gérer la « Fleur de l’Amitié » pour le compte du projet PVH de Jean-Loup Chrétien.

 

Un appel aux Pépinières de la Mare. Enthousiasme. Le directeur et la chercheuse du laboratoire prépareront un lot de jeunes pousses qu’ils offriront au projet PVH pour la plus grande gloire de La Réunion et de la France.

 

(…) Restait à imaginer et fabriquer le bijou de conteneur pour accueillir la Fleur de l’Amitié, qui devait être à la fois un objet d’art et répondre aux critères contraignants des qualifications spatiales. Notre attention s’est portée vers les lycées professionnels, et c’est ainsi qu’à l’occasion d’un retour de quelques jours au péï, je suis allé au Lycée Lislet Geoffroy et que j’y ai rencontré son proviseur, Albert Ramassamy.

 

En mars 1982, une équipe restreinte composée du directeur et de la biologiste des Pépinières de la Mare, du proviseur, d’un professeur de technologie et d’un petit groupe d’élèves du Lycée Lislet Geoffroy, se lance donc, secrètement, dans la réalisation concrète du projet franco-soviétique de la Fleur de l’Amitié, tandis que du côté de Jean-Loup Chrétien des contacts sont pris avec des laboratoires de biologie soviétiques pour assurer la poursuite des observations scientifiques autour de l’anthurium spatial. Tout cela loin des média, dans la plus grande discrétion, en raison du contexte géopolitique.

( Ndlr : Hélas ! Secret éventé suite au non-respect d’un embargo par un journaliste débutant, et voilà la presse de la Réunion qui s’excite ! La situation socio-technico-politique obligera un démenti officiel. Patatras ! )

 

Évidemment l’information réunionnaise est immédiatement repérée par l’Agence France Presse, qui appelle la direction du CNES pour vérifier, et la réponse vient comme attendu : « c’est une idée à laquelle nous avions pensé, mais tenu compte du climat politique, le projet a été abandonné. »

 

Et moi, et toute l’équipe, et Albert Ramassamy, nous sommes effondrés. Nous ne pouvons plus travailler sur un projet qui officiellement, à la fin de ce mois de mai 1982, n’existe plus. Fin de la belle histoire de la Fleur de l’Amitié.

 

( Ndlr : Fin vraiment ? Il y eût moults rebondissements ! Des espoirs de résurrection…Et, grâce à de bonnes volontés scientifiques les plantules d’anthurium parviendront à s’envoler incognito jusqu’à Moscou via Paris. ).

 

(…) Il y aurait eu juste le temps, à l’arrivée à Moscou, de remettre le précieux paquet à Jean-Loup Chrétien avant son départ le soir même pour Baïkonour d’où il devait s’envoler le jeudi suivant vers la station Saliout-7…

 

Hélas, quatre fois hélas, le vol Paris-Moscou décollera avec beaucoup de retard, et quand les plantules arrivent à Moscou, Jean-Loup Chrétien est déjà parti au Kazakhstan pour le compte à rebours final. Trop tard, et encore raté.

 

… A moins que, il reste une dernière chance, avec le Chef de Projet PVH, qui est le dernier français à s’envoler pour Baïkonour. Il prend le paquet mais il est mal à l’aise à l’idée de participer à une action qui «officiellement» n’existait plus. Finalement il ne donnera pas les anthuriums à Jean-Loup Chrétien.

 

Après le décollage de la fusée, le Chef de Projet se débarrassera de son fardeau en donnant les « Fleurs de l’Amitié » en cadeau à des femmes de dignitaires soviétiques présentes au moment du lancement. No comment.

Florebo

 

Nul ne sait ce qu’il est advenu ensuite de ces anthuriums qui ont fait battre nos cœurs de Réunionnais pendant plusieurs mois de ce début de 1982, mais hommage à toi, Albert Ramassamy, le Proviseur qui a porté la vision d’un « Florebo Quocumque Ferar » jusque dans l’Espace, et qui l’a communiquée aux enseignants et aux élèves du Lycée Professionnel Lislet Geoffroy.

 

by Guy Pignolet / Science Sainte-Rose / Reunion Island Space Initiative. Expert auprès de l’Agence Spatiale Réunionnaise (en cours de création)