Évasion Littéraire

RADAMA III - Épisode 2

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Par Raoto Andriamanambe l Illustration : Sabella Rajaonarivelo

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Dans sa limousine, Razafindrainiharo ruminait sa colère. Le téléphone ne cessait de sonner.

–     Oui allô ?

–     Monsieur le Premier ministre, je suis désolée de vous importuner, fit son secrétaire au bout de la ligne. Son excellence monsieur l’Ambassadeur de France vous attend dans la salle d’attente.

–     Bon sang. Faites le patienter dans le salon. Offrez-lui du vin ou du café, selon ses besoins. Vous êtes idiots ou quoi ? Pourquoi le faire patienter dans la salle d’attente. Dites-lui que j’étais retenu au Palais de Manjakamiadana.

–     Bien reçu monsieur le Premier ministre.

–     Accélérez Alphonse, tonna-t-il.

« Ce petit morveux est un vrai danger. Il menace l’intégrité du pays, l’intégrité de mon clan ! », pensa-t-il à haute voix. Razafindrainiharo pianota sur son Huawei P 40 Pro. Il appela Ralava, son fidèle ami. Le numéro deux officieux des Hova. Il avait déjà fait fortune avec les produits de rente. Mais il est devenu milliardaire, comme Razafindrainiharo aussi d’ailleurs, grâce à de juteux contrats de sous-traitance obtenus auprès de Colas pour des tronçons de l’autoroute RN 2. Razafindrainiharo avait été grassement « remercié » par Ralava. L’homme était une éminence grise respectée et craint. Même la cour avait peur de la ramification de son réseau allant d’Antsiranana à Toliara.

–     Salut Ralava !

–     Monsieur le Premier ministre, quel honneur…

–     J’ai besoin de toi.

–     Euh maintenant ? là ? tout de suite ? Je suis à Miavana, je passe du bon temps avec quelques distinguées personnalités tu sais, des exclamations féminines couvraient la voix de Ralava.

–     J’ai besoin de toi « maintenant ». Je vais dépêcher un avion qui ira te chercher à Toliara.

–     A vos ordres monsieur le Premier ministre !

Razafindrainiharo raccrocha, consulta les dossiers sur lesquels il devrait discuter avec l’ambassadeur de France, tandis que le cortège dévalait toute sirène hurlante les ruelles de Faravohitra puis d’Ambanidia pour débouler à Mahazoarivo.

7

 

Manjakamiadama était silencieux. La reine Ranavalona IV était alitée dans la suite, sur l’aile nord du palais. Elle était très fatiguée mais ces derniers temps, elle s’était portée mieux. Une équipe médicale était à l’affut 24 h/24 dans une des pièces semi-officielles du palais.

Tous les jours, les deux princes et la princesse se succédaient au chevet de la Reine. Koto frappa doucement à la porte. Raketaka, la dame de compagnie de la reine Ranavalona IV, l’avait annoncé. Mis à part les deux princes, la princesse, Raketaka et les soignants étaient les seules personnes qui pouvaient entrer dans la suite royale, sous les ordres express de Koto, qui depuis presque un an faisait la pluie et le beau temps dans le palais. Ce qui avait agacé durablement l’entourage de la reine, ses tantes, ses oncles, ses cousins et ses cousines, les Zanadranavalona et les Andriantompokoindrindra.

–     Quand est-ce que nous pourrions voir notre reine ? apostropha Perle Randriamiavondranavalona, près de la porte de la suite royale, sa grand-tante.

–     Le moment voulu, vous pourriez la visiter. Elle est encore très fatiguée, répondit sèchement Koto.

–     Koto, vous n’avez pas le droit de nous interdire la visite, fit une autre cousine dans la cinquantaine.

–     Je vous promets que bientôt, vous pourriez la voir, fit-il en tentant d’apaiser l’ambiance déjà délétère.

Il pénétra dans la chambre. La climatisation ronronnait. Un doux parfum de ravim-boafotsy embaumait l’air. La suite royale était généreusement décorée. Un immense portrait de Ranavalona III, sa grand-mère, ornait un pan du mur. Une immense fresque de la reine, accompagnée de ses trois enfants et du défunt roi, exécutée par l’aquarelliste Jean Yves Chen, prit place sur un autre mur. Il se souvenait de cette séance, c’était au début des années 90. Sa mère était encore radieuse, pétillante. De cette époque, elle ne gardait plus que son trait fin.

  • Mon fils…
  • Je suis là, mère. Ne parlez pas. Je resterai à vos chevets.
  • Mon fils… fit-elle avec ses yeux vitreux

Il prit la petite chaise, puis alluma l’immense télé Samsung. Le fait que son enfant chéri puisse lui tenir compagnie suffisait à la reine Ranavalona IV à l’apaiser. Elle ferma les yeux, puis s’endormit.

Koto suivait le talk-show de la chaîne de télévision d’information en continu Tv Plus, Don-kevitra. Les chroniqueurs débattaient du premier sérieux revers que le parti USDM avait subi dans l’Etat fédéral de l’Androy. Le MONIMA avait remporté d’une courte tête l’Assemblée régionale. Une première depuis 60 ans. « Est-ce la fin du tout puissant UDSM ? », s’interrogea Abraham R., le chroniqueur superstar de la chaîne. Koto répondit à voix haute en pianotant sur la télécommande : « C’est le début de la fin ».

8

 

–    Voilà toute l’histoire. Ce petit « morveux » va nous mettre dans la mouise.

Dans son bureau, Razafindrainiharo tripotait un exemplaire de La Gazette en expulsant une volute de fumée de son Cohiba.

–    Qui te dit qu’il ira au bout de son « œuvre » ? lui fit remarquer Ralava tout en sirotant son whisky.

–    Il est bien décidé, le petit. En plus, les renseignements que des agents de la DGSE m’ont transmis font état des soutiens qu’il aura une fois assis sur le trône.

–    Ah oui ?

–    Les Etats-Unis sont prêts à l’aider. Sur le plan politique, certains agents ont aperçu des pontes du PADESM et du MONIMA en sa compagnie, il y a deux semaines au Kudéta.

–    L’affaire est donc aussi sérieuse ?

–    Plus que sérieuse. Il veut nous écarter du pouvoir. Il le fera. Notre vie ne tient qu’à un fil : celle de la reine…

Le Premier ministre se leva et prit un verre.

–    Personne ne t’a vu entrer j’espère ?

–    On ne me surnomme pas Ralava « bibilava » pour rien tu sais. Je me faufile partout, je suis discret…

–    …et puis ton venin est mortel.

Ralava s’esclaffa tout en terminant son verre.

–    Veux-tu que le « bibilava » morde ?

–    Il en va de notre existence même ! tonna Razafindrainiharo tout en terminant son verre, lui aussi.

9

 

Koto aimait sortir du Palais avec une suite limitée et une garde réduite. Mais le contexte très particulier obligeait aussi bien les forces de l’ordre que les menamaso à densifier le service de sécurité autour du prince. Une dizaine de menamaso l’accompagnaient ainsi qu’un dispositif de forces de l’ordre impressionnant.

A vrai dire, le préfet d’Antananarivo aurait préféré que le futur roi reste cloîtré dans le Palais. D’autant plus que le quotidien Midi Madagasikara avait rapporté qu’un groupuscule de fanatiques voulait attenter à sa vie. Réputés pour leurs enquêtes sérieuses et rondement menées, les journalistes du vénérable quotidien tananarivien tapaient souvent dans le mille. C’est ce qui rendait particulièrement nerveux le préfet ainsi que Hagafotsy.

–    Tu es en retard mon chéri, Yoko l’embrassait tendrement.

–    Désolé chérie, j’étais encore en réunion.

–    Tu es toujours en réunion, lui fit-elle remarquer.

–    On va commander ?

Ils avaient privatisé l’un des restaurants du Colbert. Yoko était une japonaise qui avait fréquenté Harvard dans la même promotion que Koto. Entre eux, ils parlaient en anglais. Mais Yoko apprenait le malgache rapidement. Les langues l’avaient toujours passionnée.

Ils étaient en couple depuis cinq ans. Aux Etats-Unis, la vue d’un tel attelage était sans aucun doute banale, mais à son retour dans la Grande île, un scandale éclata. Le prince, le futur roi, ne pouvait – ou plutôt ne devait – pas épouser une étrangère. Ce couple atypique faisait grincer des dents surtout auprès des maisons royales. Koto avait clairement affiché ses intentions : il allait l’épouser, nonobstant les mœurs en vigueur.

Elle deviendrait princesse, une princesse malgache qui enfantera le futur roi ou la future reine. Malgré les diverses propositions de mariage dans le cercle familial plus ou moins proche, comme il était d’usage dans la cour royale pour perpétuer le « lova tsymifindra », Koto avait tenu bon. Il trouva un allié de poids dans les débats à travers… l’opinion publique.

10

 

Les bonnes ou les mauvaises histoires de la cour passionnaient les Malgaches. Dès son retour des Etats-Unis, Koto cassait tous les codes. Il n’hésitait pas à s’afficher dans les soirées mondaines avec Yoko Takeuchi. Au début, il était inconcevable aussi bien pour la cour que pour les sujets que le futur souverain épouse une « vazaha », de surcroit assimilée à une « sinoa » bien qu’elle soit japonaise. Les débats étaient intenses et glissaient bien souvent sur une pente raciste. Un groupe Facebook dénommé « Ndao hitady vady hoan’i Kotondradama » avait même rassemblé près de 100 000 membres.

Cependant, un changement notable s’opéra vers la fin de 2018. Frappé de plein fouet par le cyclone tropical intense Geralda, l’État fédéral de Vatovavy était  en détresse durant le jour de noël. Le prince Koto et sa fiancée étaient parmi les premiers à venir sur place apporter de l’aide et des vivres. L’image de Koto et de Yoko pataugeant dans l’eau en tenant un enfant chacun dans leurs bras avait fait la une des quotidiens locaux et internationaux. L’équipe gouvernementale n’était arrivée que le lendemain.  Le mal était déjà fait, à la grande colère du Premier ministre qui ne ratait jamais une occasion de se faire voir par la population.

L’opinion publique trouva finalement sympathique cette japonaise pleinement investie dans les affaires malgaches, n’hésitant pas à épauler le futur roi. En plus, elle parlait de mieux en mieux le malgache. « Je suis malgache de cœur », dit-elle un jour sur le plateau de la TVM. Elle s’était même permis de rectifier Griffine B. l’animatrice au détour d’une phrase : « malagasy, non pas malgache ». Ce qui avait déclenché un fou rire général sur le plateau.

De son côté, Koto emmagasinait également une cote de popularité importante au fur et à mesure que les apparitions de la reine se firent rares. Il assurait la présence royale aux côtés des Malgaches, de tous les Malgaches, durant de nombreux évènements.

Le couple était tellement glamour que la presse internationale s’y était intéressée de près : vingt pages dans Paris Match, un reportage dans Sept à Huit de TF1, sans parler des milliers de petites vidéos qui fleurissaient sur Facebook. Il faut dire que le prince était aussi bien à l’aise dans une table-ronde aride avec les membres du Syndicat des Industriels locaux de Madagascar, sur un terrain de basket-ball à Antsiranana, avec de jeunes délinquants, ou du côté d’un bidonville miséreux du III G Hangar, durant un match de rugby improvisé.

Il avait eu tellement de succès que ses écarts, assez fréquents, soit-dit en passant, furent pardonnés systématiquement par les sujets de sa majesté. Ainsi, un jour, La Gazette publiait une photo du prince s’enfilant cul sec une bouteille de THB, déguisé en soldat du troisième Reich. Le quotidien avait titré à l’époque : « Notre futur roi est un néo-nazi !».  Koto avait organisé, comme presque tous les mois, ces noubas gigantesques à Ambatobe, dans une des villas du fils d’Ylias A. Cet écart mettait passablement l’anatirova dans l’embarras. Il a fallu que le prince s’excusa publiquement pour que l’affaire soit oubliée. Après, Koto se décida à mettre le frein à l’étrier.

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