Évasion Littéraire

RADAMA III - Episode 1

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Par Raoto Andriamanambe

« Akira est vivant. Il sommeille en chacun de nous. »
Kaneda - Akira Tome VI (Edition Glénat)

1

 

Koto avait toujours détesté la gueule de bois, comme tout le monde au demeurant. À l’affection quasi amoureuse qu’il donna aux beuveries, il abhorrait les gueules de bois, pourtant un passage obligé pour le cycle de l’ivresse : l’euphorie de la cuite, la zénitude de l’ébriété puis la descente sur terre. Enfin, le retour de bâton : la gueule de bois.

Il avait un goût pâteux dans la bouche. Avait-il vomis ? Sûrement. En tout cas, il portait encore ses vêtements de la veille : une chemise imprimée Gucci, un pantalon Bôgasy – la touche malgache obligatoire pour sortir en société – et des chaussures Versace qui étaient en piteux état. Son sacro-saint « lambalandy » était par terre. « Merde », dit-il l’esprit encore embrumé par les litres de « Double black » qu’il s’était enfilés la nuit dernière.

Il ôta ses vêtements. Il était 10 h 30. Son alarme s’était tue depuis longtemps. Il consulta son IPhone XS Max. 30 appels en absence. « Merde », redit-il. Il avait rendez-vous à 10 h. Il prit une douche rapidement, puis appela Rasoa, la gouvernante, la seule qui avait droit de préparer et de toucher ses habits.

–     Votre altesse royale, je suis à votre écoute, fit-elle respectueusement au bout de la ligne, avec entrain.

–     Préparez-moi une chemise, un jean, le bleu foncé, une veste, une paire de mocassin, une cravate rouge et un lamba.

–     A vos ordres, votre altesse royale.

Il faisait assez sombre dans son immense chambre, située dans l’une des ailes du palais. Malgré le double vitrage, il sentit tout de même le vent du mois de juillet hurler dehors. A cette altitude, la moindre petite bise prenait des allures de cyclone tropical.

Il tira sur les lourds rideaux. Le rayon du soleil l’aveuglait d’emblée. Ses yeux s’étaient rapidement habitués à la lumière. Le ciel était d’un bleu azur magnifique. Koto détailla la plaine de Betsimitatatra, l’éminence d’Ambohidrapeto s’érigea, Ambohimanga, au loin, toisa la capitale… Puis, comme des arbustes émergeant du sol, les gratte-ciels aux alentours de l’aéroport d’Ivato tentaient de tutoyer les cimes tananariviennes. « C’est tellement disgracieux », pensa-t-il avant d’aller vomir.

La gouvernante le rappela.

–     Votre altesse royale. Vos habits sont prêts.

2

 

Koto dévala les immenses escaliers qui déboulaient sur la salle de bal. A son passage, les gardes royales, issues notamment des clans Bara et du Marovatana, étaient au garde-à-vous. Koto n’eut pas le temps de les saluer comme il se doit.

–     Le Premier ministre vous attend depuis quarante-cinq minutes, votre altesse royale, apostropha Hagafotsy, le commandant des Menamaso et ami intime de Koto.

–     Oui, je sais, fit-il sans enthousiasme, avant de lui glisser en messe basse: comment as-tu fais pour être aussi en forme?

–     Je ne le suis pas, fit son ami.

Koto se rua vers la Cour pour rejoindre Mahitsielafanjaka. Devant le parking, il reconnut la Bentley Mulsanne Extended de la Primature. Les agents de sécurité du Premier ministre inclinèrent respectueusement leur tête. Le chef protocole lui ouvrit les portes de Mahitsielafanjaka.

– Votre altesse royale, fit le Premier ministre Razafindrainiharo, qui l’accueillit sur le perron. Le sexagénaire fit une révérence gracieuse.

– Monsieur le Premier ministre, fit-il sèchement.

Koto reconnut le Secrétaire général du Gouvernement, une belle dame d’une quarantaine d’années, ainsi que le ministre d’Intérieur, un « voanjo » – les descendants de colons français qui avaient la nationalité malgache qui représentaient à peu près 30 % de la population malgache aujourd’hui – d’une cinquantaine d’années, la peau tannée par le soleil.

– Votre altesse royale, firent les deux en chœur.

– Madame le Secrétaire général du Gouvernement; monsieur le ministre d’Intérieur, fit Koto avec détachement.

Mahitsielafanjaka était un pavillon fonctionnel. Koto ne l’avait jamais bien aimé. Sa majesté, sa Mère, s’en servait comme une salle de réunion. L’aménagement était sobre, les murs étaient tapissés des portraits des souverains malgaches successifs. La décoration abusait de stuc de couleurs vives, de lapis-lazuli bleus et roses.

Cependant, d’importantes rénovations avaient été effectuées par la reine pour tenter de moderniser les équipements du bâtiment. Un système de caméras de surveillance, un système de retransmission numérique ainsi que des détecteurs de fumée avaient été installés. Les meubles d’époque avaient été capitonnés et restaurés pour qu’ils puissent être plus confortables. Cependant, Mahitsielafanjaka avait gardé son cachet désuet. « Faudrait revoir tout ça… », rêvassa Koto.

–     Votre altesse royale, nous voici, fit religieusement le Premier ministre Razafindrainiharo qui l’avait tiré de ses rêveries.

–     Monsieur le premier ministre, je vous avais convoqué, « seul », Koto appuyait sur le mot seul pour signifier que la présence des deux autres était inutile.

–     Veuillez m’excuser votre altesse royale, en ces temps troubles, j’avais osé croire que nous aurions besoin des avis éclairés de madame le Secrétaire général du Gouvernement et de monsieur le ministre de l’Intérieur…

Koto ne l’avait pas laissé terminer sa phrase.

–     Je suis navré madame le Secrétaire général du Gouvernement et monsieur le ministre de l’Intérieur, les affaires dont nous allons discuter sont aussi bien d’ordre étatique que personnel. Je vous prierais d’attendre monsieur le Premier ministre dans ce salon. Nous allons discuter dans l’aile Antoetra.

–     Bien votre altesse royale, firent les deux, en lançant un regard en biais à leur Premier ministre, avant d’être éconduits par Hagafotsy dans le salon.

La salle Antoetra était l’un des dix bureaux du palais. Située au cœur de Mahitsielafanjaka, elle était pourtant décorée de manière très moderne. C’était la folie de la princesse Razafindrahety, sa sœur. Un immense Mac trônait sur la table en palissandre d’Ambositra. L’intendant prit les deux chaises en os de baleine qui s’était échouée à Sainte-Marie agencées dans un style scandinave et les aménagea pour Koto et le Premier ministre. Il ferma ensuite la porte, tout en délicatesse. Il laissa les deux hommes s’entretenir tête à tête.

3

 

–     Votre altesse royale, je…

–     Vous ai-je permis de prendre la parole monsieur le Premier ministre? intima-t-il.

Le prince de 28 ans coupa le sifflet à ce bel homme de 65 ans avec sa chevelure poivre et sel. Rares étaient les individus qui pouvaient se permettre de lui fermer le clapet de Razafindrainiharo, craint pour ses colères légendaires, son intelligence politique et surtout son influence sur la vie de la nation. Ce n’était pas pour rien qu’il était Premier ministre depuis 25 ans. Il était quasiment le numéro deux de la Grande île, pour ne pas dire numéro un dans bien des cas.

Razafindrainiharo avait hérité de ses aïeux ce charisme naturel et ce regard perçant qui intimidait d’emblée ses interlocuteurs et surtout cette soif inextinguible de pouvoir qui sied aux Hova. Sauf que cela ne fonctionnait pas avec Koto.

–     Comme je vous l’ai indiqué depuis plusieurs mois, une fois au trône, j’organiserai un référendum constitutionnel.

–     Votre altesse royale, avez-vous réfléchi aux conséquences de cet acte ? Votre intention est bien louable mais il faut penser au futur. Puis-je me permettre de vous soumettre l’analyse juridique de nos experts ?

–     Mes légistes ont écrit une loi qui me semble être un véhicule excellent pour la modernité.

–     Votre altesse royale, nous sommes un royaume moderne… Nous sommes une des vitrines en Afrique. Nos institutions sont équilibrées…

–     Depuis combien de temps êtes-vous à la Primature ? Si je ne m’abuse vous allez fêter votre vingt-cinquième anniversaire à Mahazoarivo la semaine prochaine. Avec une fort belle réception si je ne m’abuse…

–     En matière de fête, je crois que j’apprendrai davantage avec vous, fit Razafindrainiharo résolument plus offensif.

–     Epargnez-moi vos sarcasmes monsieur le Premier ministre, répliquât Koto. Certes, Madagascar a connu une trajectoire époustouflante, qui a émerveillé l’Afrique. Comme vous l’avez souligné l’équilibre des institutions en est l’une des clés. Mais n’oubliez pas que la figure du monarque, en l’occurrence Ranavalona IV ma chère mère, a permis au pays de surmonter le traumatisme de la colonisation en 1960.

–     Pardonnez-mon votre altesse royale, loin de moi l’idée de sous-estimer le rôle de la royauté, l’exécutif a toujours eu une politique éclairée. Les choix faits par mon père ont conduit Madagascar dans la voie de la prospérité. Il a renégocié habilement les Accords de coopération. Faut-il vous rappeler qu’il nous a introduits au sein du Commonwealth, il a négocié les accords avec les majors : Total, BP, Boeing… Je vous épargnerai les détails.

–     C’est ce que je reproche à l’Exécutif et justement à vous. Vous êtes figé dans votre immobilisme du passé. Vous vous reposez sur vos lauriers et sur votre héritage confortable. Ce que vous me racontez là fait partie du patrimoine. Vous vous vantez de vos rails, de votre centrale nucléaire, de votre taux de croissance à deux chiffres… à longueur de journée dans les médias, mais avez-vous pris le temps d’écouter les Malgaches ?

–     Sauf votre respect, j’écoute les Malgaches. Ne l’oubliez-pas. J’ai été élu par les Malgaches à travers les honorables Ampanjaka et les députés. Ils me rapportent les doléances et les complaintes du peuple, tous les jours. Et nous nous évertuons à y répondre de manière efficace.

–     Ce ne sont que des lèche-botte. Ce qu’ils font ne fait que flatter leur égo et le vôtre, monsieur le Premier ministre.

–     Je ne pense pas que l’inauguration de l’autoroute numéro 5 entre Antsiranana et Sambava ait seulement flatté mon égo mais celui de la reine et celui du pays tout entier aussi, si je n’abuse, votre altesse royale.

–     Monsieur le Premier ministre, ma décision est prise. Le référendum constitutionnel aura lieu, avec ou sans votre consentement.

4

 

Livingston Razafindrainiharo était en colère. Mais son flegme légendaire, legs de son éducation britannique, et son retenu, hérité de ses années passées à l’ENA française, l’avaient rapidement ramené à une posture psychologique plus habituelle et à son calme olympien, même si le prince « morveux », comme Razafindrainiharo l’appelait souvent en aparté, le poussait bien souvent à ses derniers retranchements.

Depuis son retour au pays, il y a trois ans de cela, le « futur » roi, n’avait de cesse de perturber la vie bien paisible de Razafindrainiharo et de la royauté. Après de brillantes études de droit à Harvard, Jean-Charles Edward Ikotondradama était revenu au pays. Le problème était simple : qu’il détonnait assurément dans cet univers bien policé dans lequel il évoluait depuis des années.

Sa sœur, Stéphanie Edward Razafindrahety était posée. Le petit frère, Ellis Edward Ikotondradama, était très timide, voire effacé. Le futur roi était le mauvais numéro : trublion, extraverti mais diablement intelligent. C’est ce dernier point qui représentait le vrai souci de Razafindrainiharo : comment allait-il gouverner et cohabiter avec lui ?

Son père, Charles Rainiharo, avait préalablement défriché le terrain avec Ranavalona IV. Il avait mené d’une main de maître les affaires du pays après la colonisation.

Il avait su hausser le ton quand il le fallait, flatter ses interlocuteurs avec de mots mielleux, courber l’échine au besoin et, bien sûr, punir sévèrement. Il avait enchainé cinq mandatures tout de même à la tête de l’exécutif. Dans les salons feutrés d’Antananarivo, il était surnommé « L’Empereur ». Il était lui le vrai roi. Il régnait. Ranavalona IV n’était en somme qu’une figure symbolique, la garante de l’unité de Madagascar.

Charles Darwin Rainiharo, le Premier ministre, le plus puissant des Hova, dictait le tempo du pays. Il était le régent. Malgré les critiques, Charles Darwin Rainiharo tenait fermement la barque. Sous sa présidence depuis l’indépendance en 1960, l’UDSM était devenu le parti phare de Madagascar. L’union de gauche raflait systématiquement la majorité au sein de la Chambre des Ampanjaka et de l’Assemblée Nationale.

Il avait aussi l’avantage d’être craint par les « voanjo » qui avaient pourtant entre leurs mains l’économie du pays, les unités économiques et industrielles et les plus grandes concessions disséminées aux quatre coins de l’île. Son discours admirable à Babetville – qui faisait allusion de manière assez franche au besoin d’une réforme énergique de la politique de redistribution des terres – était encore dans les mémoires. La réforme qui avait pris du plomb dans l’aile, à la prise de fonction de son fils. A sa mort en 1995, il avait déjà tout échafaudé pour que ses descendants reprennent le flambeau. Justement, Livingston Razafindrainiharo, l’ainé de la famille, était déjà le numéro deux de l’UDSM à l’époque.

Par d’habiles manœuvres, il avait réussi bien souvent à reléguer au second plan le MONIMA, le PADESM ou bien l’Union des Souverainistes. Quand il rendit l’âme en 1995, c’était presque de manière naturelle que Livingston Razafindrainiharo fut élu à la tête de l’UDSM. Il fut élu Premier ministre à la suite des élections générales de 1996.

Il avait déjà enchaîné trois mandats. Et il briguait naturellement un quatrième. Toutefois, le « morveux » était un caillou dans sa chaussure. Et un caillou capable d’endolorir même les pieds nécrosés du Hova qui en avait écrasé d’autres au cours de sa vie politique bien remplie.

–     Depuis un an, je ne cesse de vous le dire, ce système merino-merina est désuet et met en péril le pays, asséna Koto.

–     Votre altesse royale, 60 % des ministres viennent des régions côtières, les hautes fonctions de l’Etat sont parfaitement réparties de manière à respecter l’équilibre régional. Il n’y a pas lieu de…

–     C’est l’un des axes majeurs de ma réforme. Les retours de la population sont excellents, il avait évité soigneusement d’utiliser le mot « sujet ».

–     Il faudrait peut-être revoir la définition de ce que vous appelez « population », votre altesse royale.

5

 

Koto avait déjà changé pas mal de choses, du moins dans le fonctionnement de la royauté malgache et du palais royal. Mais il avait encore soif de changements. Peut-être que les études menées à Harvard, dans le pays de la liberté, l’avaient-elles influencé. A son retour au pays, il avait pris de plus en plus d’épaisseur. Ces deux dernières années, il était pratiquement le régent.

A cause de la santé de la reine déclinante, il assurait souvent les représentations publiques. Ces derniers mois, il multipliait les bains de foule et les sorties médiatiques. Il avait un charisme indéniable servi par une grande beauté et un rien dandy qui faisait affoler les gentes dames du royaume et certains hommes aussi, d’ailleurs…

Heureusement (pour Razafindrainiharo surtout) le prince Koto était un vrai hédoniste. Il aimait sortir, danser, boire, faire la fête. Il consommait la vie sans modération. Très présent sur les réseaux sociaux (sa page Facebook comptait près de 250 000 followers à Madagascar et dans d’autres pays), le prince avait été surpris plus d’une fois par les paparazzis et les réseaux sociaux en pleine beuverie bien souvent avec les Menamaso ; baptisés les Vingt-quatre. Car dans son enfance, la reine avait insisté pour qu’il grandisse avec vingt-quatre enfants issus des divers ampanjaka des royautés des quatre coins de l’île.

Ranavalona IV estimait qu’il était nécessaire que Kotondradama puisse connaître différentes cultures du pays. Elle avait subi le traumatisme du déracinement puis d’un retour presque forcé au pays. A son retour d’exil, elle ne parlait pas un mot en malgache, alors qu’elle devait régner. Une véritable catastrophe. Il a fallu qu’on fasse appel à un professeur particulier pour améliorer sa pratique du malgache. Son accent malgache était fortement teinté de français, celui du Sud.

Les vingt-quatre enfants avaient grandi au sein du palais royal en compagnie de Koto. On leur fournissait les meilleures éducations, une moitié fréquentait le Collège de France, puis le Lycée Français, une autre avait été envoyée à l’American School of Antananarivo, comme Koto. Mais au palais, ils étaient tenus de parler dans leur dialecte local. La chambre de Koto ressemblait donc à une vraie tour de Babel malgache. Koto parlait aussi bien le merina, le français, l’anglais, l’espagnol que le vezo, l’antandroy ou le betsileo.

A l’âge adulte, Koto avait transformé son cercle d’amis en une sorte d’organisation clandestine puissante. Chacun des vingt-quatre individus avaient été chargés de missions précises : protection, renseignement, etc. A la tête des Menamaso, reconnaissables avec leur blason et leur lamba frappés du Lalomena, Hagafotsy, issu des clans des Zazamarolahy, et Rainitelo Ralibera, issu des Maintienindreny.

Ce cercle constituait surtout pour Koto un rempart et des amis fidèles de beuveries et de fêtes. D’ailleurs, les fêtes organisées par Koto étaient rapidement devenues légendaires dans la capitale Antananarivo : alcool à flot, drogue et sexe à profusion. Il louait une villa du côté d’Ambatobe et invitait fils et filles de notables, de ministres ou d’ambassadeurs pour faire la nouba, parfois des jours entiers. Plus d’une fois, le scandale éclatait et était relayé dans la presse. Le Premier ministre n’avait pas hésité à le lui rappeler.

–     Sauf votre respect votre altesse royale, je ne pense pas qu’une réforme portée par un « roi » adepte de fêtes et d’excès risque de ne pas prendre.

–     Sauf votre respect monsieur le Premier ministre, votre fils, Frank, est aussi adepte que moi de ce que vous appelez mes « fêtes ».

–     Ce n’est pas là le sujet…

–     C’est vous qui l’avez abordé en premier, fit Koto malicieusement, en buvant une gorgée d’Eau Vive, la soif le tenaillait.

–     Votre excellence, la proposition de loi est certes excellente…

–     Merci

–     … Mais le texte qui concerne le Premier ministre m’inquiète et bien d’autres aussi. Ce n’est pas le fait que je ne me sente particulièrement en danger mais la stabilité et l’équilibre des institutions sont en péril.

–     C’est le socle de cette réforme monsieur le Premier ministre. Un homme avec un tel arbre généalogique et un tel pouvoir que le vôtre ne devrait pas avoir peur d’une réforme aussi menue.

–     Je ne crains nullement pour moi, je suis au service de mon pays et de ma reine – il marqua une petite pause –, ou de mon roi. Je crains pour la stabilité du pays. Permettez-moi de lire un passage que nous, au sein de l’exécutif, trouvions particulièrement « dangereux ». « Le Premier ministre est issu de la majorité qui a remporté les législatives. Les députés votent non plus parmi des candidats issus du clan Hova, mais parmi tous les candidats en lice », récita-t-il. Vous ôtez donc la sacralité de cette relation quasi bicentenaire entre le clan merina – il ne voulait pas dire les hova – et le pouvoir exécutif, commenta-t-il.

–     Les Malgaches sont suffisamment matures monsieur le Premier ministre pour passer à autre chose.

–     Cette disposition et les autres menacent le pays, votre altesse royale. Imaginez un instant si la Maison royale se mettait en travers de votre route.

–     Je suis le roi.

–     Vous serez le roi, votre altesse royale, rectifia-t-il. Si je ne puis m’abuser, à ce que je sache la reine n’a pas encore « tourné le dos ».

–     Ne soyez pas naïf. Ne nous berçons pas d’illusion. Ma chère mère a 86 ans. Elle est malade depuis près de cinq ans. Les médecins lui donnent un an au maximum pour vivre. Ils le savent. Elle le sait. Vous le savez. Le plus bel hommage que nous pouvons lui faire est de consolider ses œuvres et celles de votre père.

–     Votre excellence, Madagascar est aujourd’hui sur la quatrième place en Afrique. Nous sommes un pays exemplaire en tous points de vue. Les autres pays d’Afrique nous envient…

–     L’Afrique n’est plus la limite de ma rizière, cher monsieur le Premier ministre. Madagascar doit rattraper les pays de l’Asie du Sud-est. Je l’estime à raison et de nombreux spécialistes que j’ai consultés sont du même avis. La Constitution actuelle est aujourd’hui un handicap et la forte concentration du pouvoir aux mains de l’Imerina, dans vos mains, nuança-t-il tout en fusillant du regard Razafindrainiharo, ne nous permettra pas d’atteindre cet objectif d’ici la prochaine décennie. Maintenant, je vous prierais de disposer monsieur le Premier ministre. Je dois me préparer pour accueillir les Bareas.

« L’Afrique n’est plus la limite de ma rizière ». Koto avait inventé ce sophisme quand les puissants ampanjaka du clan des Zanadranavalona avaient insisté auprès de lui, il y a six mois de cela, pour qu’il prenne le nom de règne Andrianampoinimerina II, une fois sur le trône. Aussi bien le microcosme royal que les sujets malgaches étaient fort excités du fait qu’enfin, après cent cinquante-sept ans, un mâle allait être coiffé de la couronne royale.

Malgré de forte insistance, Koto avait refusé.

–     Je prendrai le nom de règne de Radama III.

–     Mon bon altesse royale, êtes-vous en connaissance de la destinée tragique de Radama II ? questionna l’aîné des Zanadranavalona, Ramboasalama, l’homme qui devrait le consacrer.

–     Oui, je le sais, répondit-il sèchement.

Pour Koto, Radama II était un « roi rock ». « Comme moi », imagina-t-il.

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