ActualitéChronique Epistolaire

De helenevernon99@gmail.com

à alizeevernon@free.fr

 

objet : roman feuilleton

 

le 13/06/21

Alizée chérie,

 

Ta curiosité concernant Adrien, m’amuse et m’agace ! Si j’ai des choses à te raconter un jour, je n’y manquerai pas. Pour le moment, rien à dire sauf que je suis ravie d’avoir un ami.

 

J’ai énormément travaillé ces dernières semaines, heureusement sur des choses passionnantes puisqu’il s’agit de traduire des observations relatives aux fouilles qui sont faites à Pompéi et Herculanum. Mais je t’en parlerai plus tard car j’ai envie de partager avec toi d’incroyables nouvelles venues des États-Unis… Je vais essayer de te résumer le très long message reçu hier de Courtney.

 

Auparavant je te rappelle le long enchainement des faits : Courtney retrouve des lettres adressées à ta grand-mère Elisabeth dans lesquelles elle apprend que Nick, son grand amour, s’était fiancé à une certaine Susan et allait se marier avec elle. Elle attendait un enfant de lui.

Pourtant quelques jours plus tard Susan écrivit à Nick en lui disant qu’elle avait fait une fausse couche, que leur mariage était remis à une date ultérieure. Il attendit longtemps, fit des recherches mais n’eut plus de nouvelles d’elle. Donc Courtney, dévorée de curiosité, voulait savoir ce qu’était devenue cette fameuse Susan que son grand-père a failli épouser en 1948 ou 49. Grâce à une photo d’elle postée sur Facebook elle l’a retrouvée… vivante, âgée de 95 ans !

Nous en étions là ! Je te préviens, la suite est longue car Courtney a tenu à me la narrer dans tous les détails et elle est digne d’un roman, genre roman feuilleton, à épisodes, avec des rebondissements inattendus. Mais la réalité dépasse souvent la fiction, j’ai pu maintes fois le constater…

Je ne traduis pas mot à mot le message que j’ai reçu ; je te le raconte à ma façon après l’avoir relu 3 fois.

Donc voilà Courney et sa mère, Nicole, qui vont la semaine dernière à Los Angeles dans le but de rencontrer Susan qui vit là-bas, dans une maison de retraite. Elles étaient persuadées tomber sur une femme gâteuse, ayant perdu la mémoire. Peut-être même refuserait-elle de les recevoir. Elles se sont présentées à la maison de retraite sous le nom marital de Nicole et ont demandé à voir Susan en disant qu’elles étaient des amies d’amis. Elles ont aussi cité le nom de la personne grâce à laquelle Courtney l’avait retrouvée sur les réseaux sociaux. On les a fait attendre un petit moment puis une jeune femme est venue les chercher en souriant :

Je m’appelle Amy, suivez-moi ! Susan vous recevra volontiers ; elle vient de terminer un épisode de sa série !

– Quelle série, le savez-vous ? a demandé Nicole

– The crown ! Elle adore…

Courtney a chuchoté à l’oreille de sa mère :

– Si elle parvient à suivre une série, c’est bon signe !

Amy a frappé à la porte d’une chambre et elles sont entrées : une toute petite femme, très ridée était assise dans un fauteuil confortable devant une baie vitrée. Il y avait deux autres petits fauteuils qui attendaient les visiteuses, disposés juste en face d’elle.

– Bonjour, je vous en prie, asseyez-vous ! a proposé Susan d’une voix étonnamment jeune et plutôt forte.

– Bonjour Madame, ont répondu en chœur la mère et la fille en serrant la petite main tremblante que leur tendait Susan.

Puis, elles se sont assises :

– Appelez-moi Susan, s’il vous plait, mais je n’ai pas très bien compris vos noms.

Elle a montré ses oreilles et ajouté :

– Malgré mes appareils auditifs, je vous demanderai de parler un peu fort…

– Je suis Nicole Miller et voici ma fille, Courtney

À ce moment-là, m’écrit Courtney, nous avons vu les yeux très bleus de Susan s’écarquiller, puis elle a mis ses lunettes qui étaient posées sur ses genoux, a fixé ma mère et s’est mise à rire. Nous avons vraiment cru que Susan était atteinte de sénilité. Mais elle a repris son sérieux et paisiblement elle a demandé à ma mère :

– Ne seriez-vous pas Nicole Sheppard ?

Nous sommes toutes les deux restées bouches bées, incapables de prononcer un mot, ne sachant pas si nous étions victimes d’une farce.

Susan s’est remise à rire :

– Ce n’était pas très difficile, vous ressemblez beaucoup à votre père, Nicole ! Mes oreilles sont en piteux état, mais j’y vois encore assez bien !

– Mais, mais…, a balbutié , parait-il, Nicole, incapable de trouver les mots

– Eh oui, j’ai toujours suivi de loin la carrière et la vie de Nick, je veux dire de votre père. Lorsqu’il est mort, il y a 15 ans, je suis allée jeter un coup d’œil sur le site « findagrave »                Je savais déjà qu’il avait épousé une nommée Margaret mais j’ai appris qu’il avait deux enfants prénommés Michael et Nicole, une petite fille nommée Courtney. Si depuis la famille s’est agrandie, en revanche, je ne suis pas au courant.

– Vous surfez sur Internet ! s’est exclamée Courtney

– Ma petite, il y a 15 ans je n’avais que 80 ans et mes doigts n’avaient presque pas d’arthrose. Je jouais encore, et pas si mal, du piano, et je préparais à domicile des cours de Sciences pour une école privée spécialiste des enfants handicapés travaillant chez eux. Oui, je me servais beaucoup d’Internet… presque plus aujourd’hui à cause de mes doigts qui tremblotent mais j’ai une tablette quand même…

Courtney s’est excusée. Elle était très gênée d’avoir donné l’impression à Susan qu’elle la prenait pour une vieille gâteuse…

Mais Susan a haussé doucement les épaules et a simplement demandé :

– Et vous, comment m’avez-vous retrouvée et pourquoi ? Que voulez-vous ?

– Juste faire votre connaissance, a dit Courtney, et elle a révélé à Susan comment elle avait retrouvé une lettre de Nick qui parlait d’elle, lui a résumé le contenu de la lettre. Puis elle lui a expliqué comment elle s’était adressée aux réseaux sociaux pour la retrouver à partir de la photo. Elle a pianoté sur son téléphone et lui a montré l’historique de son compte, la réponse qu’elle avait reçue…

– Jeune fille, vous auriez dû faire partie d’une unité de recherches des criminels. Je vois d’excellentes séries sur le sujet…

Puis elle est restée silencieuse un long moment, les yeux perdus dans le vague. Elle a soupiré :

– Juste pour faire ma connaissance, dites-vous ?

– Oui, et – c’est juste de la curiosité, vous n’êtes pas obligée de répondre – pour savoir pourquoi vous avez disparu ainsi sans plus donner de nouvelles à mon grand-père. Vous avez fait une dépression suite à votre fausse-couche ? Vous aviez rencontré quelqu’un ?

– Mais non, bien sûr que non !  Dites-moi d’abord ce que vous savez, vous !

– Pas grand-chose, a dit Nicole

Mais Courtney a sorti un petit carnet de sa poche :

– Attendez !  j’ai tout noté ici : vous vous êtes fiancée avec mon grand-père en avril 1947, puis votre maman est décédée fin septembre 1947 ; tout de suite après, vous avez perdu l’enfant que vous attendiez ; vous avez quitté Fort Belvoir pour vous installer ailleurs… Voilà ce que je sais de vous !

– Je vous ai dit tout à l’heure que vous auriez dû appartenir à une unité de recherches de criminels, pourtant vous avez oublié quelque chose d’essentiel… Vérifier vos 4 informations… Je vous laisse deviner laquelle est erronée…

Amy a apporté du thé à ce moment-là avec trois tasses et des donuts. Courtney réfléchissait :

– Je ne vois pas…

Susan a souri mais c’était un sourire triste :

– J’étais bien fiancée à Nick ; ma mère est bien morte à ce moment-là ; j’ai effectivement déménagé…

– Je ne vois pas…

– Vous ne savez pas faire une soustraction, Courtney, ça m’étonne, a ricané Susan

C’est Nicole qui a pris la parole à ce moment-là :

– Vous n’étiez pas enceinte ?

– Si, si, je l’étais !

– Vous voulez dire que vous n’avez pas fait de fausse couche ?

– Bien vu, Nicole !

Ni Courtney, ni sa mère n’avaient encore réalisé ce que cela impliquait. Courtney a seulement dit, un peu bêtement :

– Mais pourquoi l’avoir fait croire à Nick ? L’enfant n’était pas de lui ?

– Bien sûr qu’il était de lui ! Vous voulez que je vous raconte ?

Elle n’a pas attendu la réponse. Il suffisait de voir les yeux ronds que faisaient ses deux interlocutrices, sidérées par les nouvelles qui tombaient les unes après les autres.

À partir de là, je traduis mot à mot ou presque le récit de Courtney qui laisse la parole à Susan :

– Déjà, lorsque Nick est reparti pour la deuxième fois en Europe avec le USS Fargo, après nos fiançailles, j’ai trouvé que ses lettres étaient bien tièdes ; mais j’ai d’abord pensé que c’était le fruit de mon imagination. Un mois avant que Nick revienne je me suis aperçue que j’attendais un enfant et que ma grossesse était relativement avancée. Je n’avais rien vu tant la santé de ma mère, les allées et venues à l’hôpital m’avaient préoccupée. Puis Nick est revenu : j’étais si heureuse de le retrouver. Toutefois, quand je lui ai annoncé que j’étais enceinte, j’ai compris que quelque chose clochait. Il faisait semblant d’être content. Une femme sent ces choses-là, n’est-ce pas ?

Susan s’est interrompue, a bu un peu de thé, nous a dit qu’elle était fatiguée. Ça se voyait. Ma mère a proposé qu’on revienne le lendemain mais elle a secoué la tête :

-Non, laissez-moi quelques minutes et je continuerai. Je dois tout dire aujourd’hui puisque j’ai commencé. Elle a fini son thé puis a repris :

-Je ne dormais plus, je ne mangeais plus : ma grossesse, ma mère qui luttait contre son cancer, la froideur de Nick… Alors j’ai appelé Frank. Frank était notre ami commun à Nick et à moi, nous nous connaissions depuis longtemps. Ils étaient partis ensemble en France sur le Fargo. J’étais sûre qu’il savait des choses. J’ai fini par lui faire avouer qu’il y avait une autre femme dans le cœur de Nick. J’ai même oublié son nom aujourd’hui… Je ne voulais pas d’un homme qui en aimait une autre. Peut-être que si ma mère avait vécu, je me serais mariée pour l’honneur de la famille. Vous savez, en ce temps-là, ce n’était pas comme aujourd’hui. Un enfant sans mari… Mais elle était morte. J’avais de l’argent, un frère qui m’adorait et était prêt à m’aider. Alors j’ai dit que j’avais perdu le bébé et j’ai disparu. Je suis partie avec mon frère à San Francisco. Le bébé est né là-bas. Deux ans après j’ai rencontré un homme merveilleux ; nous nous sommes mariés, il a adopté mon fils et nous avons eu une fille plus tard.

Je crois que l’information n’était toujours pas parvenue au cerveau. Ma mère a demandé avec une drôle de voix :

– Mais qu’est-il devenu, votre fils ?

– Il est ingénieur, à la retraite à présent. Il a 74 ans. Il est divorcé, a deux enfants qui ont 28 et 30 ans, une fille et un garçon…

– Vous le voyez souvent ?

– Il vient me voir tous les samedis ; nous passons l’après-midi ensemble. Eh oui, Nicole, vous avez un frère et si vous voulez faire sa connaissance, rien de plus simple. Venez la semaine prochaine !

 

Le récit de Courtney s’arrête là ; elle me dit simplement que sa mère est encore sous le choc. Elle m’assure qu’elle reprendra contact avec moi pour me raconter l’entrevue, car bien entendu, elles veulent faire la connaissance, l’une de son frère et l’autre de son oncle ! Puis elle me remercie car, dit-elle, c’est grâce à moi que ce roman a pu avoir lieu.

 

Elle a raison toute ceci est la conséquence incroyable de ma curiosité… Je voulais simplement savoir qui était l’homme que ma grand-mère avait aimé à partir d’une enveloppe et d’un fragment de lettre. Et voilà qu’une cascade d’événements a abouti à la découverte qu’ont faite Courtney et Nicole. Je ne sais s’il faut qu’elles me remercient. Je ne pense pas qu’aujourd’hui cette découverte change grand-chose aux vies des uns et des autres mais cette rencontre ne peut pas ne pas être émouvante. J’ai hâte de savoir comment elle se sera déroulée.

 

Je suis frigorifiée. J’ai allumé la cheminée qui me grille le visage et me laisse le dos glacé. Heureusement Sobika, la chienne d’Adrien s’est couchée sur mes pieds.

 

Je t’embrasse fort ; à demain soir sur Messenger !

Par Hélène VERNON 
Illustration de Sabella Rajaonarivelo

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