ActualitéChroniques de Madagascar
- Entre les lignes -

Balades indiennes

Chitra Banerjee Divakaruni - Anita Nair - Bulbul Sharma, Histoires d’ailleurs, France Loisirs 2004.

Jamais l’utérus n’a pesé aussi lourdement. Jamais être une femme n’a été aussi pesant. Pourtant, l’envol a été aussi loin que là où les hautes barrières les ont projetées.

Dans ce continent, naître femme est une désillusion. Pourtant, dans ce continent, plus que n’importe où, la descendance est fondamentale. Quand les paradoxes s’étirent dans toutes les fibres du corps et taraudent les pensées, l’être se scinde en mille morceaux. Il est difficile de trouver ses marques là où toutes ses aînées ont déjà trainé les pieds. Comment exister dans un monde qui refuse à l’avance de céder une place ? L’unique salut reste de justifier la naissance. Comment vivre dans un milieu qui a besoin de se consoler de ne pas avoir un garçon ? « Une fille ne peut pas nous nuire. Et puis, quand elle aura l’âge de se marier, il sera toujours temps de choisir une alliance avec une famille qui avantagera tes intérêts. » (p.113)

Si la vie est pleine de surprises pour certaines, pour elles, ce n’est qu’une ligne à suivre, tracée depuis des générations. Il leur faudrait juste placer un pied devant l’autre, sans autre attente, sans nul désir, sans aucune protestation. Être femme, c’est savoir se diriger là où des coutumes millénaires ont conduit d’autres avant elles. Se laisser aller. Se laisser faire. Se laisser mourir. Être femme, c’est avoir un corps si gracieux et tellement souple qu’il est capable de se plier à toutes les volontés. Toutes, sauf les siennes. « Ma mère (…) m’avait expliqué que le devoir d’une bonne épouse consistait à permettre à son mari de se satisfaire, même si elle trouvait cela désagréable… » (p.70)

Qu’adviendrait-il si elles se permettaient de parler de ses aspirations profondes ? D’évoquer ces nuits blanches à épuiser le souffle du désir des autres ? D’aborder le tréfonds de leur rêve de femmes ? Toutes questions sont perte de temps. Toutes discussions, vaines. Toutes réponses, figées. « Le sexe, c’était une activité à laquelle se livraient un homme et une femme sous la protection de l’obscurité et d’un drap. Pas un sujet de conversation. » (p.129)

C’est ainsi qu’elles ont laissé le silence prendre racine dans les commissures de leurs lèvres. Les ramifications ont été tellement solides, qu’elles ont fini par ne pas (s)avoir leurs propres voix. Elles ne sont plus que l’écho de ce que les autres disent d’elles, sur elles et pour elles. Elles ne sont plus que le fruit de ce que les autres rêves d’elles, sur elles et pour elles. Être femme, c’est savoir se taire. « Elle avait découvert depuis longtemps qu’on réservait aux femmes qui avaient des opinions le même sort qu’aux mauvaises odeurs. On les fuyait. » (p.114)

Puis, il y a eu celles qui ont su cueillir avec leurs doigts le peu de liberté qui leur a été offert. Celles qui ont su remplir leur main de leurs propres rêves. Celles qui n’ont pas laissé leur vie filer entre les doigts. Alors, trouver le courage d’aller vers son propre chemin est le plus grand des obstacles. Une fois la tête libérée de ces règles d’antan, le corps suit le mouvement, naturellement. « Les vieilles règles ne sont pas toujours justes. Pas ici, pas même en Inde. » (p.106)

Alors elles sont allées au-delà des frontières, laissant les cancans bruire au loin sans atteindre leurs tympans. Elles ont été à l’écoute de cette voix qui murmurait du profond de leur cœur. Voix que les bruits extérieurs étouffaient matin et soir. Elles ont su déborder des cadres dans lesquels elles étaient prédestinées à se confiner. « Il n’y a pas de mal à vouloir être heureuse, non ? Désirer que la vie nous apporte plus que de remplir des devoirs que vous avez endossés avant de savoir à quoi ils vous engageaient vraiment ? » (p.105)

NA HASSI
Illustration : Sabella Rajaonarivelo