Évasion Littéraire

Hônko ou l’Arbre-abri - Ep 2

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Par Christina Jenssen Mahazomora l Illustration : Sandrine NANY

Cela faisait déjà un jour et une nuit dans ce lieu où régnait le silence. Rien ni personne ne se trouva dans les parages. Le bruit du vent vint caresser le visage de Tsangy et le soleil plombant lui pesait lourdement sur le crâne. Les herbes autour de lui ondulaient en un mouvement de vague synchronisé. Le paysage qui l’entourait était à l’opposé de celui qu’il avait coutume de voir. Les bruits qu’il entendit étaient complètement étrangers à ceux qu’il avait l’habitude d’entendre.

Après quelques centaines de pas, il se trouva face à une pente très raide qui se dressa devant lui. Sachant qu’il devait prendre toujours le nord, il lui était difficile de la contourner au risque de se perdre.

Il s’assit un moment au pied de la pente pour se reposer avant d’entamer le dur labeur qui l’attendait. Quelques minutes plus tard, s’étant ressaisi, il commença son ascension. Faisant preuve de force et de détermination, il finit tant bien que mal par arriver au sommet. Devant le spectacle qui s’offrait à lui il écarquilla les yeux et s’immobilisa comme un mannequin de cire, il n’avait jamais vu une chose pareille. Au loin, le ciel était couvert d’épais nuages noirs. Derrière ce brouillard de fumée apparaissait ce qui ressemblait à une forêt après le passage d’un grand feu ravageur. La peur l’envahit car il n’avait jamais imaginé que le feu pouvait être puissant au point de dévaster l’immensité d’une forêt. Prenant son courage à deux mains, il s’avança en direction de la braise.

La fumée commença à lui piquer la gorge, il emprunta maintenant un petit sentier, en enveloppant son nez et sa bouche d’un masque en rubans qu’il avait confectionné sur le pouce. Aux alentours, rien ne laissait apparaître une autre couleur que du noir charbonneux. Il marcha on ne sait combien d’heures, car le panache de fumée cacha le soleil et donna cet aspect crépusculaire. Il suivit prudemment son chemin, parce que le danger pouvait venir de partout, à un moment où l’on s’y attendait le moins.

Il sentit une lourde fatigue l’envahir, et petit à petit le sommeil prit sa place ; par ces signes, il comprit, en dépit de cette noirceur où même le diable n’oserait pas s’aventurer, qu’il devait s’arrêter pour se reposer un peu, car il était fort probable qu’il faisait nuit depuis un moment, même si rien ne permettait de s’en rendre compte. En guise de lit douillet, il étendit un drap par terre, et s’affala. Le souvenir de son village le visita plusieurs fois, et comme une boule se forma dans sa poitrine, le remplissant d’inquiétude pour l’état de santé de sa mère. Comme on dit : « cœur qui soupire n’a pas ce qu’il désire » ; en effet le cœur de Tsangy n’avait ni ce qu’il désirait ni ce qu’il méritait. Avec ses pensées, il se laissa engloutir par les ténèbres et s’endormit.

Il sursauta, quand une lueur le réveilla d’un coup, « c’était quoi cette lumière qui se déplace à une vitesse incroyable », elle éclaira tout l’alentour d’un étincelle de lumière. Puis d’un coup, la lumière s’immobilisa, Tsangy dans son coin, prit peur, n’osa plus bouger : il aperçut cette lumière prendre la forme d’un petit homme, une écorce d’arbre en guise de peau, et des feuilles comme cheveux. Cette forme étrange était assise en pleurs, élevant de petits cris de plus en plus aigus, devant ce qui ressemblait à un arbrisseau qui commence à se faner. Le jeune aventurier malgré sa peur, s’approcha de cette créature, puis, de plus près, lui demanda d’une toute petite voix si tout allait bien ? D’un mouvement brusque, celle-ci le repoussa, mais il garda son sang-froid, et repose la question « est-ce que tout va bien?, n’aie pas peur, je veux juste t’aider… », elle se calma, et se rassit…

-Je suis le gardien de cette forêt, et personne jusqu’ici ne m’a jamais vu, regarde comment les humains peuvent détruire une ressource pourtant primordiale pour leur vie.

– Je ne peux pas croire que des humains ont pu faire ça. De là où je viens, le respect de la nature est de rigueur, et c’est pour ça que je suis ici, j’ai commis une grave erreur et je souhaite changer les choses, même si j’avance dans l’inconnu.

-Tu vois ce jeune arbre, c’est le seul qui n’a pas été brûlé dans cette forêt, mais il commence à se faner; ça fait plusieurs jours qu’il n’a pas plu, et il manque d’eau, et les ruisseaux sont empoisonnés par la cendre.

-J’ai de l’eau propre, certes ce ne sera pas assez pour la garder en vie, mais cela lui redonnera vie pour un certain temps, qui sait, la pluie pourra revenir bientôt.

Il saisit son outre, et versa le peu d’eau qui lui restait pour arroser l’arbre. Devant leurs yeux, celui-ci reprit vit petit à petit, avec ses nouvelles feuilles d’un vert clair; le gardien de la forêt ému par son geste, se mit à pointer du doigt le ciel noirci, une grosse goutte d’eau tomba sur la tête de Tsangy, puis une autre goutte sur son épaule, et c’est, de plus en plus ample, une véritable ondée de perles pluvieuses transparentes revenue faire revivre la forêt, le miracle, l’espoir et la renaissance retournent en un instant.

-Ta générosité est sans égale, alors tu peux continuer ta quête, et je t’offre le jour et le soleil pour te guider.

Quelque minutes après ce moment de fraîcheur, le ciel s’éclaircit, les nuages se dissipèrent, et le soleil apparut, c’était l’aurore.

Après avoir gardé les yeux vers le ciel, et surpris par le changement instantané du temps, il voulut remercier le gardien de la forêt mais en se retournant, ce dernier avait déjà disparu, sans avoir laissé de trace… Et là, l’obscurité devint lumière, et il aperçut maintenant son chemin.

Il finit par sortir de la forêt, et ne tarda pas d’apercevoir au loin une bourgade, et des bêtes un peu plus loin encore. « Voilà un endroit où je pourrai me ravitailler, et me reposer un peu », pensa-t-il…

 

La bourgade n’était pas si proche que ça, car il se retrouva à arpenter un terrain aride. Il commença à avoir soif, et déshydraté, il ne lui restait que du lait, de deux jours, certes, mais la calebasse de sa mère le gardait au chaud. Il s’apprêta à le saisir pour boire, toujours en marchant, vit une mère avec son enfant porté sur son dos entrain de récupérer de l’eau d’une flaque. Son visage dessinait des rides de fatigue, mais aussi des feux de courage. Son bébé cria si fort, que même une personne n’ayant pas l’habitude des enfants saurait que ce petit avait faim. La femme avait du mal à faire monter la jarre sur sa tête. Donc, Tsangy se précipita vers elle pour l’aider en l’allégeant de sa charge.

-Laissez-moi vous aider ma tante, vous n’avez pas à porter ça toute seule.

-Qui es-tu brave jeune homme?

-Je me prénomme Tsangy, je viens d’un village très éloigné d’ici, une quête très importante m’a poussé à venir dans ce lieu qui m’est inconnu.

-Notre bourgade n’est qu’à quelques marches, viens t’y reposer un peu avant de continuer.

Les pleurs du bébé devinrent de plus en plus aigu, il demanda à la maman pourquoi ne pas l’allaiter, celle-ci répondit qu’elle n’avait pas assez de lait pour le nourrir. Alors Tsangy lui offrit le lait qu’il s’apprêtait à boire, pour son bébé. Une fois le nourrisson calmé et rassasié, il prit la jarre et les deux personnes se dirigèrent vers le village.

Bientôt, des dizaines de cahutes en terre se dressaient devant lui. « Tsararano »[1] est un lieu dont la simplicité dégageait une pureté cachée, des enfants couraient, jouaient en criant, des femmes pilaient du riz dans de gros mortiers en bois, d’autres étaient assises devant des chaudrons, on ne voyait pas beaucoup d’hommes à part les vieux : ils sont parti chercher de l’eau, disait la femme. Et elle s’arrêta devant une grande maison plus vieille que les autres. Cette cahute attira l’attention du jeune voyageur, la dame le lui expliqua que c’est là où habite le plus ancien du village, Dadilahy qui veut dire grand-père. Après avoir déposé la jarre et s’être abreuvé, elle l’emmena voir directement Dadilahy.

Ils pénétrèrent dans la demeure du doyen, un vieux monsieur que le temps avait marqué. Il les accueillit chaleureusement dans son humble cahute.

-Entrez, prenez place… Et bienvenue à toi jeune aventurier.

-Bonjour, je suis Tsangy, je viens du village d’« Andöharano», dans le sud, merci pour votre accueil.

-Qu’es-tu venu chercher ici, car je présume que tu es très loin de là d’où tu viens, me trompais-je?

-En effet, c’est le cas, j’ai fait preuve d’une arrogance incalculable, aussi n’ai-je pas su contrôler ma colère. Je dois revenir dans mon village avant la pleine lune dont je ne sais quand elle se lève. Jusqu’ici, je n’ai pas trouvé comment aider mon village.

-Ce que je peux te dire, c’est que la pleine lune sera dans trois jours, et d’après une légende « c’est dans la sécheresse que tu retrouveras l’eau de vie », l’eau qui résout tout.

-Et qu’est-ce que cela pourrait bien vouloir dire?

-Va, prend la route du désert, ne quitte pas cette route, et gare-toi de toute tentation. La réponse viendra à toi. Mais surtout ne te retourne pas avant d’être sorti du désert. D’après la légende, ce désert dévore l’âme des curieux et des distraits, le sable les emmène avec lui.

-J’y tâcherai;…mais dites-moi, comment vous faites ici, car j’ai remarqué votre manque d’eau.

-N’as-tu pas vu l’état de notre forêt en venant ici?

-Je l’ai même traversé.

-Je n’y crois pas, on ne pouvait même pas s’en approcher ces derniers jours ; maintenant, le feu s’est éteint mais il ne reste plus rien.

-Comment cela a-t-il pu se produire?

-Nous ici, nous cuisons tous nos plats avec du charbon de bois, et on le fabrique dans la forêt même, nous n’avons pas pu contrôler le feu, et tout s’est mis à brûler.

-Je comprends, je vais vous montrer comment fabriquer de l’argile ardente, car dans notre village, nous n’utilisons que ça, nous respectons beaucoup la forêt, il n’est plus nécessaire de couper les arbres, et même si le besoin d’en couper se fait ressentir, nous ne manquons jamais de replanter deux fois plus que ce que nous avons pris. Ainsi, les enfants futurs pourront en profiter, et nous essayons de garder et de transmettre cette pratique de génération en génération.

-Je pense que c’est une bonne idée et une bonne chose pour nous tous. Malgré le manque de pluie, nous nous devons de sauver le peu qui nous reste.

Sans plus tarder, Dadilahy appela tous les villageois pour se regrouper devant la grande maison, et demanda à Tsangy de les informer sur les avantages d’avoir une forêt saine, et sur les conséquences de la déforestation, et surtout de leur montrer un autre moyen de fabriquer du charbon à l’aide de l’argile. Les gens faisaient preuve d’attention et de détermination face aux explications données par ce jeune garçon. Presque toute la matinée fut consacrée à cette activité, et quand les hommes furent de retour, les femmes se mirent à les renseigner à leur tour.

Tsangy déjeuna chez Soa, la maman, puis prit quelques provisions, et remplit son outre et sa calebasse d’une eau bien bouillie. Et revint voir Dadilahy, pour le saluer et faire part de son départ.

-Tu as été bref chez nous, mais ce que tu nous as apporté demeurera pour les années à venir. Continue ta route mon enfant, et quand l’occasion se présentera, reviens nous rendre à nouveau visite.

-Je vous remercie pour votre hospitalité, et le fait qu’à aucun moment vous ne m’avez jugé me touche au plus profond de moi-même. Et j’ai failli oublier de vous dire, la pluie commence à revenir petit à petit dans la forêt, votre rivière sera à nouveau remplie, prenez-en bien soin. J’en sais quelque chose.

Il prit sa musette, repartit dans la direction du désert vers le grand nord. Et l’aventure continue.

 

[1] Là où l’eau est bonne.

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