ActualitéChronique Epistolaire

De helenevernon99@gmail.com

à alizeevernon@free.fr

objet : Ma chérie

le 1/12/20

 

Ma chérie,

 

Ce n’est tout de même pas une mauvaise note et une appréciation très sévère qui vont entamer ta détermination ! D’accord, tu as récolté plusieurs notes pas très brillantes en histoire depuis le démarrage de ta quatrième année en septembre ! Si les études que tu as poursuivies ne te conviennent pas, bien entendu tu dois changer de voie. Mais il ne s’agit pas de cela ! Tu viens d’accomplir trois années très satisfaisantes !  Tout de même, l’ensemble de tes professeurs se serait déjà rendu compte que tu n’avais pas le niveau requis.

Si ton prof d’histoire a bien prononcé les paroles que tu m’as rapportées, c’est lui qui a un problème pas toi !  Même si tu as totalement loupé le dernier travail que tu lui as remis, même si depuis septembre, tu ne comprends pas ce qu’il attend de toi, son rôle c’est de t’expliquer ce qui ne va pas.

Rien ne me met plus en rage que des professeurs qui osent dire à des étudiants qu’ils sont nuls. Je ne peux admettre qu’ils rabaissent, humilient. De la part de n’importe qui d’ailleurs mais davantage encore lorsque cela émane d’un enseignant.

C’est si facile à ton âge d’être déstabilisé, de perdre le peu de confiance en soi que l’on très a réussi péniblement à amasser.

Toutefois n’oublie pas qu’enseigner à distance est très particulier et que certaines personnes sont très mal à l’aise. C’est peut-être le cas de ce professeur ?

Le métier que tu as choisi te convient tellement bien : organiser les décors d’un film, faire en sorte qu’aucun anachronisme ne s’y glisse ! Un métier qui fait appel à ton côté artiste tout en te permettant d’assouvir ton intérêt pour l’histoire.

Ne te laisse pas démolir !

 

Au moment où je reviens vers mon ordinateur, j’apprends qu’Anne Sylvestre est morte. Elle a chanté, parmi tant d’autres, une chanson dont j’aurais aimé avoir écrit les paroles. Elles sont si jolies, si tendres, et si justes : « Ma chérie ». C’est un écho à ce que je viens de te dire précédemment :

Va ne retiens pas tes ailes, ma chérie…

Va déplie-les bien tes ailes…

Moi je t’ai lissé les ailes, ma chérie…

 

Déploie bien grand tes jolies ailes et vole dans la lumière…

 

Je t’embrasse

 

 

De helenevernon99@gmail.com

à alizeevernon@free.fr

objet : Olov

le 5/12/20

 

Je viens de recevoir par Whatsapp les photos de Olov. Oui, c’est un étalon absolument magnifique !

Le confinement a ses bons côtés : il t’a permis de quitter Paris et te donne la possibilité de monter à cheval régulièrement… J’ai compris d’après ce que tu racontes que Olov est plus qu’un moyen de te promener dans la campagne ; il est devenu un compagnon, n’est-ce-pas ? Tu as fait beaucoup d’équitation et tu as eu des affinités avec de nombreux chevaux mais je ne t’avais jamais entendu parler d’un cheval comme tu as parlé d’Olov. Il en est des animaux comme des gens : il y a des rencontres magiques ; un échange de regards, un fluide qui se répand dans tout le corps, voilà qu’on s’aime et on est incapable d’expliquer…

D’après les photos, on sent qu’il mérite son nom – Olov, le feu en Ouzbek – comme tu me l’as expliqué. Son regard est empreint de fierté et son port de tête très élégant. Vivement que je puisse rentrer en France et que tu me le présentes !

 

Je t’embrasse

 

De helenevernon99@gmail.com

à alizeevernon@free.fr

objet : Elisabeth

le 7/12/2020

 

Mon Alizée,

 

Quelle émotion ce matin : je reçois un message de Nicole Sheppard avec, en pièce jointe, une lettre d’Elisabeth à Nicholas. C’est Michael qui l’a retrouvée. Elle est en piteux état, de l’eau a effacé certains paragraphes mais la signature et l’écriture que je connais bien ne laissent aucun doute : elle est bien de ton arrière-grand-mère.

Je te retranscris les phrases que j’ai pu déchiffrer : « Nick my love, Comment pourrais-je oublier cette soirée au Negresco ? Il me semble que ce bal (illisible)…Combien de temps restez-vous ? (paragraphe illisible). Cela fait à présent deux mois (illisible). Je ne pense qu’à vous et je garde votre lettre sur mon cœur pour pouvoir la relire, dix fois, vingt fois dans la journée.

Je vous donne rendez-vous samedi au cap d’Antibes à midi. Nous irons déjeuner chez Maryse. Si vous avez un empêchement, téléphonez à la boulangerie, ils me préviendront.

Je vous embrasse et j’attends samedi avec impatience.

Votre Elisabeth »

La lettre est datée de mars 1947.

 

Michael me fait dire, qu’il y aura peut-être d’autres lettres : une infiltration d’eau dans la réserve où il a rangé les papiers de son père l’avait obligé à déplacer les documents en vitesse, à en sortir certains des enveloppes dans lesquels ils étaient rangés afin de les faire sécher. Il n’est donc pas certain de les avoir remis tels que son père, très méticuleux, les avait classés.

Nicole me précise que son frère a décidé de profiter de cette recherche qu’il effectue pour moi afin de reprendre son projet de retracer la brillante carrière d’officier de marine de leur père.

Même s’il n’y a que cette lettre d’Elisabeth qui a subsisté, c’est déjà un miracle. Je ferme les paupières et je vois ma grand-mère nettement : elle a 20 ans et porte une robe de bal jaune pâle qui met en valeur sa taille très fine, elle valse avec son officier en uniforme sous le majestueux lustre en baccarat du Negresco. On dirait des acteurs échappés d’un film d’Hollywood : je n’en rajoute pas, ils sont parfaitement beaux et ils évoluent dans un  décor exceptionnel. Je peux visualiser parfaitement l’endroit, et toi aussi. Je ne savais pas, lorsqu’Elisabeth m’y emmenait boire un thé, que ce palace évoquait pour elle une histoire d’amour.

Quel destin que celui de cette femme si moderne, si indépendante, si jolie et si…autoritaire ! Elle perd sa mère à l’âge de 10 ans et son père se replie sur lui-même, paraissant indifférent à ce qu’elle fait, à ce qu’elle pense. Elle a une grand-mère, heureusement, grâce à laquelle elle ne manquera ni d’attentions, ni d’amour. Elle travaille très jeune chez un notaire, voulant à tout prix montrer à ce père si peu impliqué qu’elle n’a pas besoin de lui, ni affectivement, ni financièrement. Hélas, en 1946, elle perd sa grand-mère. En 1947 elle rencontre Nicholas puis en 49 elle apprend par son patron qu’il a un ami très proche qui s’est installé comme notaire à Tananarive. Elle réfléchit très vite et se dit que partir serait la meilleure solution pour elle. Le décès de sa grand-mère l’a profondément affectée. Plus rien ne la rattache à Antibes. Ceci, je le tiens d’elle mais ce qu’elle n’a pas dit, c’est que probablement elle voulait aussi fuir un chagrin d’amour. Pourquoi son histoire avec Nick s’est-elle arrêtée ? Qui a rompu ?

Elle va donc voir son patron et lui demande si son ami à Tananarive n’aurait pas besoin d’une secrétaire. Et c’est ainsi que deux mois plus tard, elle embarque à Marseille sur le Jean Laborde, paquebot des Messageries Maritimes. Elle ne travaillera pas très longtemps chez le notaire en question, puisqu’elle rencontre ton arrière-grand-père, l’épouse très vite et s’occupe de la gestion de son imprimerie.

 

Je t’en dirai davantage sur la personnalité très intéressante d’Elisabeth une autre fois. Je dois aller faire quelques emplettes pour Noël et je me sens déjà fatiguée : embouteillages, chaleur, magasins bondés.

Je t’embrasse et t’appelle demain.

Par Hélène VERNON 
Illustration de Marie-Charlotte HAHN

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