ActualitéChronique Epistolaire

De helenevernon99@gmail.com

à alizeevernon@free.fr

le 23/04/21

objet : état d’urgence sanitaire

 

 

Comme je te l’ai dit, il y a quelques jours, Madagascar a, à nouveau, fermé ses frontières et déclaré l’état d’urgence sanitaire. Mon projet de venir te voir le mois prochain tombe à l’eau. Air France vient de m’envoyer un message m’annonçant que mes vols étaient annulés.

Non seulement il est désormais impossible de sortir du pays, et surtout d’y revenir, mais il est également impossible de sortir de la région de Tana, sauf pour se rendre en avion dans deux ou trois provinces.

Il y a beaucoup de malades dans notre entourage. Des décès également. Comme chaque fois qu’il y a des crises, des guerres, la nature humaine se révèle dans ce qu’elle a de plus abject. Ainsi sont vendues au noir des bouteilles d’oxygène à des prix indécents ; il en va de même pour le Lovenox et les autres médicaments prescrits à des personnes atteintes de Covid.

Ainsi que je te l’ai dit et je te le répète encore, ne te fais pas de soucis pour moi. Je ne fais pas partie des personnes à risque, je suis extrêmement prudente, et j’ai la chance d’avoir Adrien, mon médecin particulier, à quelques mètres.

Nous nous voyons assez souvent, bien qu’il soit très occupé comme tu l’imagines. Il ne regrette pas d’être venu ici. Son adaptation au pays de son père n’est pas toujours facile mais il se sent terriblement utile. « Quoi de plus important dans l’existence ? » m’a-t-il dit l’autre jour. Je l’ai envié et le lui ai avoué. Malgré ses protestations polies « Chacun est utile à sa manière ! », il y a tout de même des professions plus essentielles que d’autres.

A ce soir, par Messenger ?

 

 

De helenevernon99@gmail.com

à alizeevernon@free.fr

le 26/04/21

objet : confinement du week-end

 

Nous venons de passer notre premier week-end de confinement total. Je n’ai pas mis les pieds dehors mais je savais, par le silence, que Tana était devenue une ville morte. Pour accentuer cette impression, pas un souffle de vent ne faisait frémir les arbres. Nous étions dans un méchant conte : une affreuse sorcière avait jeté un sort à la Cité des Mille, désormais pétrifiée. Hélas, ce n’était pas un conte pour enfants, effrayant, mais dont on sait qu’il y aura une conclusion heureuse. C’était un conte pour adultes ; pour ceux-là on ne sait jamais comment cela va se terminer et quand…

Dans l’après-midi, samedi, une ambulance passa et crut bon, alors qu’aucun autre véhicule ne pouvait gêner sa circulation, de mettre en route sa sirène.  Ce son, à la fois pressant et lugubre, amplifié par les parois des collines auquel il se heurtait, a résonné sinistrement dans le silence total. J’ai frissonné et pensé à cette citation de John Donne en épigraphe du magnifique roman d’Hemingway : « La mort de tout homme me diminue, parce que j’appartiens au genre humain, aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas : c’est pour toi qu’il sonne ».

 

Pardon d’être si morose aujourd’hui. J’ai failli effacer tout ce que je venais d’écrire puis je me suis ravisée : il nous faut être sincère l’une envers l’autre. Dans nos enthousiasmes, comme dans nos moments de découragement. Sinon à quoi serviraient nos échanges ?

 

Je t’embrase très fort, ma chérie

 

 

De helenevernon99@gmail.com

à alizeevernon@free.fr

le 025/04/21

objet : Susan

 

 

Au milieu de ces journées angoissantes, je viens de recevoir un message de Courtney qui m’a vraiment changé les idées. Ce qu’elle m’apprend est incroyable : tu te souviens, n’est-ce-pas, qu’elle cherchait celle qui avait failli se marier avec son grand-père ? Elle connaissait uniquement son prénom et possédait une photo qu’elle présumait être de cette jeune femme. Grâce à Facebook, la photo avait été reconnue. Toutefois le nom de naissance de Susan restait inconnu. Sans compter que, vu son âge, il était probable qu’elle ait pris comme nom d’usage celui de son époux.

Mais toutes ces difficultés ont été surmontées par la personne qui avait reconnu Susan sur Facebook. Elle a réussi à renouer le contact avec des amis de sa mère décédée jusqu’à ce que l’un d’entre eux se rappelle du nom de Susan, qui était en effet celui de son époux.

Munie de tous ces renseignements Courtney a fait des recherches. Je ne sais comment elle s’y est prise mais elle a retrouvé sa trace. Et, devine…

Susan est VIVANTE ! Née en 1926, elle a 95 ans et séjourne dans une maison de retraite près de Los Angeles. Courtney me dit – et elle a raison- qu’elle ne veut pas lui téléphoner. Elle craint de lui faire peur. Qui sait même, m’écrit-elle, si elle se souvient de Nicholas ! Elle est peut-être devenue sénile, ou sourde. Ou tout simplement ne tient-elle pas à évoquer un homme dont elle ne garde pas un bon souvenir ? Courtney a donc l’intention, dès que cela lui sera possible, de se rendre à Los Angeles pour tenter de la rencontrer.

Je trouve sympa et amusant qu’elle me tienne au courant de ses recherches, comme si je faisais partie de sa famille !

 

Je t’embrasse.

 

De helenevernon99@gmail.com

à alizeevernon@free.fr

le 29/04/21

objet : le plan Madagascar

 

 

Alizée chérie,

 

Ce matin, j’ai rencontré Chantal, que tu connais, en allant faire des courses. Nous bavardons un moment ; la conversation dérive sur la multiplication des diverses sectes plus ou moins affiliées à des religions déjà établies à Madagascar. Je lui apprends que j’ai découvert des Juifs Chrétiens, un savant mélange : ils croient en Jésus, fils de Dieu, mais célèbrent les fêtes juives, font le shabbat le samedi, leur livre saint est la Torah.

La conversation a donc glissé sur les Juifs et je me suis aperçue qu’elle avait entendu parler du Plan Madagascar élaboré par les Nazis pendant la seconde guerre mondiale ; toutefois elle n’en connaissait pas le moindre détail. Elle était donc persuadée que le projet d’Hitler et de ses sbires avait été de se débarrasser des Juifs en les envoyant sur une île lointaine où ils seraient libres.  Comme Chantal est un peu naïve, mais pleine de bons sentiments, elle imaginait ces Juifs mélangés à la population malgache, vivant heureux sous les cocotiers, se désolait que ce plan ait été abandonné. On sait par quoi il a été remplacé, me dit-elle…

J’ai été obligée de la détromper et de lui expliquer en quoi consistait le Plan Madagascar. J’en profite pour te faire un cours. C’est probablement une partie de l’Histoire de ce pays que tu ne connais pas. Moi-même j’en ai découvert les détails il y a seulement 5 ans, lorsque j’ai dû traduire en italien un long article pour une revue.

On commence à parler de ce projet d’envoyer les Juifs à Madagascar en 1936. C’est le bureau d’Heydrich qui le met au point. En 1938, le Plan Madagascar est largement approuvé par Hitler. En effet, le pays réunit toutes les conditions favorables : c’est une île, très vaste, peu peuplée, et par des races considérées par les Nazis comme inférieures. En outre, elle est bien loin de l’Allemagne. Il faut simplement vaincre les Français et obtenir leur assentiment. Ensuite on en fera un immense ghetto sous contrôle des SS.

La France est vaincue en 1940 ; le régime de Vichy est prêt à approuver toutes les mesures antisémites et, cette année-là, le plan imaginé par les Nazis voit un début de réalisation. En effet, l’Allemagne envoie en France les Juifs badois, sarrois et palatins. Ils partiront de là pour Madagascar dès que la Grande Bretagne sera sous contrôle allemand. Car pour envoyer dans l’Océan Indien 5 millions de personnes, il faut une logistique impressionnante. Sur le plan économique, c’est facile, on se servira des biens spoliés aux Juifs pour financer le voyage. Mais sur le plan pratique, il faut environ 120 navires qui feront des allers-retours pendant 4 ans, des navires qu’il est prévu de prélever sur la flotte britannique bien équipée. L’échec de l’Allemagne à vaincre la Grande-Bretagne retarde donc le projet dont on parle néanmoins jusqu’à 1942.

Il sera définitivement abandonné lorsque, cette année-là, les forces britanniques arrachent le contrôle de Madagascar à la France de Vichy.

Il ne sert à rien de tenter d’imaginer ce qui serait advenu des Juifs et de Madagascar si… L’intention des Nazis était claire : faire périr, et les Malgaches (dont ils ne parlent même pas dans leur projet), et les Juifs, en les faisant travailler sous la houlette des SS jusqu’à l’épuisement le plus total, à l’exploitation des nombreuses ressources du pays.

 

 

De helenevernon99@gmail.com

à alizeevernon@free.fr

le 29/04/21

objet : l’hiver arrive

 

Ma chérie,

 

Le froid nous enveloppe tandis que les beaux jours reviennent chez toi. Je déteste l’hiver sur les Hauts Plateaux ; je le répète chaque année, car chaque année c’est la même chose : l’humidité s’introduit subrepticement dans la maison, et jusque dans mes os ! À 18 heures, il fait déjà nuit.

Décidemment ces derniers temps, je ne t’écris rien de très joyeux. Je râle, je maugrée, je te raconte des pages d’histoire bien tristes. Je suis maussade, c’est vrai mais comment pourrait-il en être autrement ? Je suis à l’image de ce pays. Nous sommes tous dans une situation d’attente. Des vaccins doivent arriver sous peu.

 

Je t’embrasse fort et je joins à ce message deux photos de Soubik[1], la chienne d’Adrien qui passe ses journées dans notre jardin ou même dans ma chambre, ravie d’avoir une compagnie en l’absence de son maître. Je te dirai que je suis également enchantée qu’elle soit là. Elle est très belle et attachante, d’une humeur égale, contrairement à la mienne ! Dès qu’elle entend le ronronnement du moteur de la moto de son maître, qu’elle reconnait bien avant que j’aie pu percevoir le moindre bruit, elle dévale les escaliers, ouvre la porte qui donne sur le jardin et, d’un saut impressionnant, franchit le muret qui sépare nos deux maisons.

 

Tandis que je t’écris je reçois un message de la part de l’ambassade de France : les vaccins sont arrivés et nous serons donc vaccinés à partir du 10 mai. Quant aux Malgaches l’arrivée des vaccins est elle aussi imminente. Excellentes nouvelles, pour tout le monde. Nous allons maintenant observer comment se passe la vaccination. Je plains les organisateurs !

 

Je t’embrasse fort.

 

 

[1] Sobika, en malgache : a donné le mot (du genre féminin) de soubique, passé dans le vocabulaire français : il s’agit tout simplement d’un panier.

Par Hélène VERNON 
Illustration de Mendrika

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